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que, dans un pays de publicité comme l’Amérique, on puisse ignorer aussi longtemps la vérité sur une institution qui existe à la clarté du soleil. Plusieurs circonstances concourent à expliquer ce mystère. En premier lieu, la publicité n’éclaire que les actes qui s’accomplissent dans les lieux où il existe réellement un public, dans les grandes villes du sud par exemple, à Baltimore, à Savannah, à Charleston, à la Nouvelle-Orléans, où l’esclavage se présente naturellement sous sa forme la plus modérée. Là, les nègres ne sont point soumis au travail des plantations ; ils accomplissent les fonctions de domestique, de cuisinier, de garçon d’hôtel et de taverne. Ce n’est donc pas dans les villes qu’il faut évidemment aller chercher la vérité sur l’esclavage et la condition des noirs ; là, la publicité est trop grande. Et cependant combien de détails passent inaperçus, qui donneraient au voyageur la clé de la vérité, s’il pouvait les apercevoir ! Mais il ne les aperçoit presque jamais, car ce sont de ces détails qui ne se révèlent que par un long séjour, une longue habitude des mœurs, ou une circonstance fortuite. M. Parsons en cite un exemple qui est très significatif. Il logeait dans un hôtel de Savannah, nommé Marshall-House, où un de ses amis avait pris sa demeure depuis plusieurs années. Cet ami, ayant rarement vu maltraiter publiquement les noirs, s’était presque converti à l’esclavage. Il arriva par hasard que pendant le séjour de M. Parsons, l’hôtel changea de propriétaire, et qu’on fit la découverte suivante : les nègres n’avaient point de lit, et dormaient par terre ou sur des planches, sans oreillers ni couvertures. Les deux garçons noirs chargés des bottes des voyageurs s’en servaient pour se faire des oreillers ; dans la cuisine, on trouva cinq servantes noires couchées sur la brique nue. Grand fut l’étonnement de M. Parsons et de son ami, lorsque le propriétaire sortant expliqua le fait par cette raison, que dans les hôtels du sud les nègres ne dorment jamais dans des lits. Étonné de la réponse, M. Parsons s’informa à une personne de sa connaissance, qui logeait à Pulaski-House, de la vérité. La personne interrogée répondit : « Ce propriétaire est une brute de ne pas donner des lits à ses nègres, car ils ont à travailler dur pendant l’hiver. — Ont-ils des lits chez vous ? demanda M. Parsons. — Certainement. — En êtes-vous sûr ? M, Johnson prétend que dans les hôtels ils n’ont jamais de lits. » On interroge le propriétaire de Pulaski-House pour avoir de plus amples informations. « Des lits ! répond-il ; est-ce que vous ne savez pas que les nègres ne dorment jamais dans des lits ? Ils aiment mieux dormir sur le parquet. »

Nous avons cité ce singulier détail, parce qu’il montre bien l’extrême difficulté qu’il y a à connaître exactement la vie des personnes d’une autre condition que la nôtre, et combien la publicité est impuissante