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ou de Finlande? Tout cela irait à une somme énorme, à laquelle cependant il faudrait ajouter la valeur du matériel consommé par les troupes, le produit des impôts de guerre et des emprunts volontaires ou forcés faits à l’intérieur, le tort fait aux recettes publiques par le blocus et par la cessation du travail industriel, les dépenses que tant de levées extraordinaires ont imposées aux seigneurs, qui sont obligés d’équiper à leurs frais les hommes pris par la conscription, etc. Qui pourra calculer même approximativement la valeur dont la Russie s’est appauvrie par toutes ces saignées faites au capital national? Qui calculera ce que représentent les réquisitions extraordinaires de chevaux, de bœufs, de charrettes et d’hommes, à l’aide desquelles seules on a pu pourvoir à l’approvisionnement de l’armée de Crimée? Ces réquisitions ont frappé si lourdement, dans le sud de l’empire, sur la population des campagnes, qu’elle s’est refusée, sur plusieurs points, à travailler la terre des seigneurs, en alléguant que les conscriptions et les corvées avaient enlevé tant de bras, que ce qu’il en restait suffisait à peine à cultiver l’étendue de terre indispensable à la subsistance des veuves, des enfans, des vieillards, laissés dans leurs foyers en proie à l’abandon, à la douleur, à la misère.

C’est en milliards qu’il faudrait évaluer les pertes infligées à la Russie par toutes ces causes de désolation. Or la Russie, malgré les mines de l’Altaï et de l’Oural, est un pays pauvre, qui ne saurait résister aux conséquences d’un pareil état de choses, s’il devait se prolonger. D’ailleurs les effets s’en sont montrés déjà dans les émissions successives de papier-monnaie, dans les suspensions de paiemens des banques, dans la ruine du crédit de l’empire, qui vient d’échouer pour la seconde fois à faire un emprunt au dehors. Et s’il est vrai, pour les gouvernemens despotiques aussi bien que pour les autres, que l’argent est le nerf de la guerre, quels succès la Russie peut-elle se promettre, elle dont les recettes ne s’élèvent, dans les années les plus prospères, qu’à 850 millions au plus, contre quatre puissances dont les budgets réunis dépassent trois milliards et demi, qui ont trouvé à emprunter 3 milliards, et qui en trouveraient bien d’autres encore, tandis qu’elle-même ne peut réussir à emprunter 200 minions?

A défaut de crédit financier, si la Russie avait des amis de qui elle pût espérer un concours ou une aide quelconque, il ne serait peut-être pas absolument impossible qu’elle se laissât séduire par l’idée d’améliorer sa position en prolongeant la guerre; mais il y a longtemps sans doute que la Russie n’a plus d’illusions à cet égard. Elle a des alliés, des parens parmi les princes, elle possède les sympathies de quelques minorités dans les sociétés européennes : alliances timides, sympathies impuissantes! Après deux ans de guerre, elle n’a pas encore trouvé un gouvernement qui ait osé lui accorder un