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C’est là ce qu’il serait assez difficile de dire. Au fond, le peuple prussien est froissé du rôle qu’on lui a fait jouer, de la politique qu’on lui a fait suivre ; il éprouve, on peut le dire, ce mécontentement indéfinissable que ressentent tous les peuples quand ils se trouvent, par la faute de leur gouvernement, dans une situation quelque peu effacée. Le roi Frédéric-Guillaume lui-même a certainement trop d’esprit pour être bien fier de ses succès diplomatiques ; aura-t-il du moins assez de fixité dans les desseins, de fermeté pour s’assurer et s’affermir dans la position qui lui est rendue aujourd’hui au sein de la conférence ? Si dans toute cette politique fuyante et mobile de la Prusse il y a une gravité réelle, ce n’est pas tant à cause du vide laissé momentanément par l’absence du cabinet de Berlin dans les conseils de l’Europe ; c’est parce que la paix elle-même laissera des difficultés de plus d’une sorte, comme il en reste toujours à la suite des crises où toutes les puissances n’ont pas fait leur devoir. Ces difficultés sans doute s’aplaniront sous quelque rapport dans la phase nouvelle où semblent entrer les négociations ; le germe existe pourtant, et c’est assez pour qu’il ne soit point inutile de noter cet élément essentiel dans la situation générale de l’Europe.

Chose assez curieuse, cette paix vers laquelle se tournent tous les regards n’est point faite encore, on l’attend des délibérations du congrès, et déjà on se demande ce qu’elle produira. Les esprits se mettent à rechercher quelles combinaisons pourront surgir, quelles alliances se formeront, quels événemens vont naître. La littérature politique vivait de la guerre il y a peu de temps ; elle commence à vivre de la paix, de cette paix dont elle salue les perspectives, dont elle calcule les conséquences, avant même qu’elle ne soit faite. Quelles combinaisons prévaudront dans la politique, si la guerre cesse définitivement ? C’est là certes une question immense ; en fait cependant elle se réduit à des termes bien simples pour certains esprits. Il s’agit de savoir s’il y aura un rapprochement plus intime entre la France et la Russie, ou si l’alliance des puissances occidentales survivra au conflit actuel. Il n’est point difficile d’apercevoir que l’auteur de quelques pages sur le Caractère et les Conséquences de la paix future incline vers une intimité avec l’empire du Nord ; seulement M. de Romand ne dit pas les raisons véritables qui peuvent rendre spécieuse cette pensée, souvent reproduite, d’une alliance de la France avec la Russie, et les considérations qu’il émet ou qu’il laisse pressentir sont peut-être de nature à rendre cette alliance singulièrement antipathique à tous les intérêts de notre pays. Évidemment, si la paix se conclut, des relations d’amitié renaîtront sans effort entre la France et la Russie. Ces relations pourront même être d’autant plus cordiales, que les armées des divers pays ont appris à s’estimer, qu’il y a toujours en Russie un goût réel pour la France, et qu’il n’y a parmi nous aucune passion nationale contre nos redoutables adversaires. Est-ce là néanmoins le fondement d’un système ? Pour longtemps encore sans doute, la vraie politique de la France résidera dans son alliance avec l’Angleterre, alliance utile non-seulement aux intérêts des deux pays, mais à la sécurité de l’Europe elle-même. C’est une pensée que M. de Gasparin développe, non sans talent, dans une brochure qui a pour titre : Après la paix, Considérations sur le Libéralisme et la Guerre d’Orient. M. de Gasparin porte quelquefois dans