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inexactitude, pour employer le terme le plus faible. En l’attaquant sur une question, il a réussi à ébranler son crédit sur toutes les autres. Nous avons vu que le prestige de Brown avait d’abord séduit les rédacteurs de la Revue, et à quelle hauteur le plaçait un juge aussi autorisé que Sydney Smith. Hamilton ne cache pas l’intention de ramener Brown à un rang philosophique beaucoup plus modeste, et nous ne pouvons disconvenir que sur les points débattus il n’ait parlé en maître, et porté une grave atteinte à l’autorité du prétendu vainqueur de Reid et de Stewart.

Ainsi il demeure vrai aux yeux de sir William, et sur ce point nous accédons volontiers à son avis, que les philosophes en général, lorsqu’ils n’ont pas été ouvertement et systématiquement sceptiques, ont souvent livré des positions au scepticisme, en soutenant soit que l’esprit, étant hétérogène à la matière, n’en pouvait prendre aucune connaissance, soit au moins que, ne la pouvant connaître immédiatement, il ne connaissait des objets qu’une représentation donnée dans la sensation, ou à lui transmise par la sensation. Il reste vrai qu’en élevant une difficulté inconnue du reste des hommes, en supposant une contradiction ou une impossibilité qui ne nous vient pas naturellement en tête, on a infirmé dans son origine la foi due à nos facultés, et constitué une sorte d’opposition entre les croyances primitives et involontaires de l’humanité et les démonstrations réfléchies de la science, ruinant ainsi le premier fondement de toute certitude, l’accord de l’intelligence avec elle-même. Le caractère et le mérite de la philosophie écossaise est donc d’avoir constaté cet accord comme un fait et relevé ce fait à la hauteur d’un principe. Il ne s’ensuit point toutefois que Reid, le fondateur de l’école, ait également réussi dans toutes les parties de sa doctrine, qu’il n’ait pas porté sur ses prédécesseurs des jugemens superficiels ou trop absolus, qu’il n’ait pas méconnu tantôt les difficultés des problèmes, tantôt les conséquences de ses solutions. La philosophie moderne a jusqu’à nos jours rendu peu de justice au passé. Les systèmes et leur histoire lui servant peu, elle s’est dispensée de les bien connaître, et quelques-uns des maîtres de la science ont été des ignorans pleins de génie. Leibnitz, le plus savant de tous, avait plutôt une vue juste qu’une connaissance exacte de l’antiquité, et il y aurait péril à juger les anciens ou le moyen âge sur la parole de Bacon ou de Descartes, de Locke ou de Kant. Reid, sous ce rapport, ne différait guère de ses devanciers, et, dans sa revue générale des systèmes métaphysiques, il y aurait à signaler plus d’une appréciation hasardée, parfois même de singulières méprises. C’est pourquoi sir William Hamilton, en publiant son édition de Reid, qui malheureusement n’est pas terminée, du moins quant aux additions qu’il