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sances. Or le tout se réduit à dire que l’homme en cette vie est pour lui-même le principe de toutes ses connaissances, et l’élément constant, la donnée nécessaire de tous les problèmes. De ce fait certain, de ce fait d’universelle conscience, on infère des difficultés, on conclut des incertitudes, quand on veut embarrasser un adversaire ou critiquer une doctrine ; mais on cesse d’en tenir compte ou du moins de s’en inquiéter toutes les fois qu’on affirme quelque chose, ne fût-ce que la négation des assertions qui déplaisent. Les philosophes que Reid attaque ont pour la plupart insisté sur ce dernier fait et argué de cette contradiction pour faire accepter leur manière de la résoudre. Reid et ses partisans n’écartent guère la difficulté qu’en disant qu’ils ne s’en tourmentent pas plus que le monde ne s’en soucie, et qu’étant hommes, ils se contentent de la certitude humaine : homo sum. Je n’hésite pas à trouver cette réponse fort raisonnable, sans la trouver tout à fait péremptoire, et je crois qu’on pourrait ajouter que la connaissance est, par sa définition, passible de l’objection forte ou faible du scepticisme, et qu’à moins de ne pas vouloir qu’il y ait de connaissance, il faut admettre qu’on ne peut connaître hors de cette condition. Le connaissant connaît parce qu’il connaît qu’il connaît. Cela est si vrai que même en Dieu la connaissance ne peut être conçue autrement. Seulement nous avons, nous, l’expérience de nos erreurs et la conscience de l’imperfection de notre faculté de connaître. C’est la ce qui permet toujours de supposer à la rigueur l’incertitude d’une connaissance humaine. Et cependant cette supposition, encore que logique, a plus ou moins de force, suivant qu’elle s’applique à des connaissances moins ou plus près d’être parfaites. Ainsi, pour quelques-unes de nos connaissances mathématiques, tenues pour parfaites, la supposition d’erreur ne pèse rien. De même c’est par la perfection que la connaissance divine diffère de la connaissance humaine ; du moins cette différence suffit-elle pour marquer la distance entre Dieu et l’homme, et pourtant elle n’écarte pas la possibilité purement logique de l’objection du scepticisme. Si l’on pouvait, dans la réunion de docteurs convoquée par Voltaire aux pieds de l’être ineffable, introduire un étudiant allemand, n’eût-il étudié que Hume et Kant, il pourrait contester à Dieu la perfection de ses connaissances, sur ce fondement qu’il n’a d’autre répondant que lui-même de sa propre perfection. Osons le dire en effet, Dieu n’est infaillible dans ses connaissances que parce qu’il sait parfaitement qu’il ne peut se tromper. Quæ sunt Dei, dit l’apôtre, nemo cognovit nisi spiritus Dei.

Voilà le sens, je crois, dans lequel il faudrait marcher pour supprimer, non la possibilité, mais la valeur de toute argumentation sceptique. Sans en être fortement touché, je suis forcé de convenir