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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/527

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nir leur éclat, mais sans leur accorder ni estime ni confiance, et Méhémed est un Turc comme les autres. Il prétend me faire assister à ses tentatives désespérées sans que je m’arroge le droit de lui faire des représentations ? Suis-je assez humiliée, suis-je descendue assez bas ?

Et en disant ces mots, comme si elle eût voulu mesurer la hauteur d’où elle était tombée, elle leva les yeux et aperçut Méhémed suspendu à sa corde, ballotté par le vent, tournoyant en l’air comme une plume arrachée de l’aile d’un oiseau par le plomb du chasseur. Toute sa colère s’évanouit à cette vue, et elle demeura immobile, hors d’elle-même, plus effrayée qu’elle ne l’avait été encore, car s’il est affreux d’exécuter de pareils exploits, y assister de loin et du port, c’est encore mille fois plus pénible. On apprécie toujours mieux le danger qu’on ne partage pas, et lorsque celui qui s’y expose nous est cher, nous en souffrons bien plus que d’un danger commun. Habibé vit donc Méhémed se cramponner de nœud en nœud jusqu’à l’ouverture de la grotte, et quoique à pareille distance il lui parût à peine plus gros qu’une mouche, elle comprit qu’il détachait la corde et qu’il la reportait dans la caverne ; mais rendons-lui la justice d’ajouter qu’elle ne douta pas un seul instant de son retour, et elle eut raison. Les bouts de corde que Méhémed avait suspendus le long des rochers en descendant étaient encore à leur place. Il s’en servit pour accomplir cette seconde descente, et eut soin de détacher chaque bout de corde devenu inutile avec un long bâton armé d’un crochet qu’il portait à sa ceinture, puis de le lancer dans l’espace. Après quelques instans, qui parurent des siècles à Habibé, Méhémed toucha la terre, et bientôt se retrouva près d’elle.

Quand les deux fugitifs eurent pris quelque repos, Méhémed donna le signal du départ en replaçant Habibé sur ses épaules. Elle insista vainement sur le retour de ses forces et sur le salutaire effet de la promenade. Ses représentations vinrent encore une fois se briser contre cet entêtement caractéristique des Orientaux, qui, sourds aux conseils de leurs femmes, s’obstinent à les porter sur leur dos pour leur éviter la fatigue de la marche, quoi qu’elles en disent d’ailleurs ; n’est-ce pas la une impardonnable grossièreté ?… La nuit n’était pas éloignée lorsque Méhémed et son fardeau atteignirent les abords de la demeure hospitalière qu’ils cherchaient. Le hameau était situé sur la crête d’une colline ; quelques maisons s’étendaient sur le versant méridional, et la maison principale occupait le fond du ravin qui séparait cette colline des montagnes plus élevées dont elle formait le premier échelon. Cette maison se composait de deux corps de logis ; le plus considérable, le harem, spécialement consacré aux femmes et aux enfans, contenait les chambres à coucher, et formait la véri-