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Je n’oserais affirmer que le vieillard reconnut sur-le-champ son hôte ; mais, accoutumé qu’il était à entretenir des relations aussi clandestines que lucratives avec des gens gardant le plus strict incognito, il n’hésita pas à congédier par un geste sa société.

Lorsque tous furent sortis, Méhémed envoya Hassana fermer la porte, commission que celui-ci exécuta machinalement comme un homme habitué à se plier aux circonstances sans faire d’observations. En revenant à sa place, il lança un regard scrutateur sur Méhémed, et ce regard lui apprit ce qu’il voulait savoir.

— Voilà une démarche bien hardie, seigneur ! dit-il, car vous n’ignorez pas sans doute que vous êtes signalé dans toute la contrée, que votre tête est mise à prix, et que les troupes ne sont pas loin.

— Je le sais, je sais tout cela, répondit Méhémed avec impatience ; mais la nécessité n’admet pas d’objection, et d’ailleurs les démarches les plus hardies sont souvent les moins dangereuses. Je puis toujours compter sur toi ?…

— Assurément, reprit le vieillard. Que veux-tu de moi ?

— L’hospitalité, répondit Méhémed, l’hospitalité pour moi et ma compagne malade, dont l’état réclame de prompts secours.

— Où est-elle ? demanda laconiquement le vieillard.

— À quelques pas d’ici ; puis-je aller la chercher et par où l’introduirai-je dans ton harem ?

— Hassan réfléchit un instant, puis il reprit : — Puisque le jour tire à sa fin, rejoignez-la et restez avec elle jusqu’à la tombée de la nuit. Alors conduisez-la à la petite porte qui donne sur la campagne ; j’y serai pour vous recevoir.

— Tu n’as pas d’étrangers dans ta maison, point de nouvelle femme depuis ma dernière visite ?

La question était assez embarrassante pour le vieux Hassan, qui achetait souvent des esclaves, et qui ne savait au juste ni combien il en avait, ni depuis combien de temps elles lui appartenaient, ni d’où elles venaient ; aussi garda-t-il un instant le silence, cherchant à se rappeler la date de ses dernières acquisitions. Le résultat de cet examen fut conforme à ses désirs, et il assura Méhémed qu’il ne rencontrerait chez lui que des visages connus.

— C’est bien, dit Méhémed, dans une heure je t’amènerai ma femme ; que l’un de tes serviteurs soit prêt à partir pour la ville, où il ira chercher des remèdes et un médecin. Adieu, qu’Allah te garde !

Et après avoir prononcé ce souhait, il ouvrit une espèce d’armoire qui n’était qu’une porte dérobée donnant dans un cabinet où le vieux patriarche enfermait toute sorte d’objets de contrebande, hommes, femmes et marchandises, et qui avait une issue sur une petite cour et de là sur les champs. En opérant sa retraite, Méhémed