Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/60

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous assure que nombre d’étrangers faisaient le voyage de Paris rien que pour entendre Ramus, et comme, après avoir fait des cours éloquens, il publiait des livres hardis, non plus seulement en latin à l’usage des savans, mais en français et pour tout le monde, ce qui n’était pas la moins heureuse, ni la moins féconde de ses nouveautés[1], Ramus devint un personnage européen. Aussi, quand les troubles politiques et religieux de la ligue le forcèrent à quitter pour un temps la France, ses visites aux principales académies de l’Europe, à Strasbourg, à Berne, à Zurich, à Heidelberg, à Genève, furent une suite d’ovations. Il faisait des cours sur Cicéron, sur Quintilien, sur Platon; on l’écoutait avec transport, on lui donnait des fêtes, on le saluait du nom de Platon français.

Le dénoûment de cette carrière active et brillante est malheureusement trop connu : Ramus avait embrassé la réforme; il fut une des victimes de la Saint-Barthélémy. Quelques sentimens de regret et d’indignation qui s’élèvent ici dans le cœur de tout honnête homme, l’occasion serait mal choisie pour faire le procès aux chefs du parti catholique. Ni Catherine de Médicis, ni Charles IX, ni la ligue, ne sont directement responsables de cette mort. Loin de là, Ramus a été protégé toute sa vie par les cardinaux de Lorraine et de Bourbon; Henri II et Charles IX l’ont comblé de faveurs. — Après le massacre de Yassy, Ramus obtint un sauf-conduit du roi pour quitter Paris, et Catherine lui ouvrit un asile à Fontainebleau. S’il ne put remonter dans sa chaire, du moins il en garda le titre, et le cardinal de Bourbon voulut que le traitement de ses places fût doublé.

Ce n’est donc point la passion religieuse qu’il faut accuser, pas plus que la passion politique; c’est une haine toute personnelle. Le véritable auteur de la mort de Ramus est son collègue Jacques Charpentier, qui profita de l’impunité accordée à l’assassinat politique et religieux pour faire massacrer Ramus par des sicaires. C’est un point que M. Waddington a établi à la suite d’une information régulière, poursuivie avec un soin scrupuleux et une modération parfaite.

La question est maintenant d’apprécier la valeur philosophique de Ramus, et c’est ici que je ne puis souscrire entièrement aux conclusions de son savant historien.

Selon M. Waddington, Ramus est le plus grand philosophe et même le seul philosophe de la renaissance, et l’influence qu’il a exercée sur son siècle n’est comparable qu’à celle de Descartes sur

  1. Le premier ouvrage de philosophie écrit en français, plus de soixante ans avant le Discours de la Méthode, c’est la Dialectique de Ramus. Voici le titre de la première édition : « Dialectique de Pierre de la Ramée à Charles de Lorraine, cardinal, son Mécène. » A Paris, chez Wéchel, 1555, in-4o, 140 pages. M. Waddington a donné, à la fin de son livre, la préface ingénieuse et éloquente de la Ramée, accompagnée de vingt lettres inédites.