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qu’une méthode, qui a été celle de Platon et d’Aristote aussi bien que d’Hippocrate et de Galien... Cette méthode se retrouve dans Virgile et dans Cicéron, dans Homère et dans Démosthènes; elle préside aux mathématiques, à la philosophie, aux jugemens et à la conduite des hommes[1]. »

Quoi de plus vague que ces indications, et, si l’on veut presser les choses, quoi de plus incohérent? Dire que la vraie méthode philosophique est dans Virgile et dans Cicéron, dans Homère et dans Démosthènes, c’est parler non en logicien, mais en humaniste[2]. Si Ramus veut dire en général qu’il faut s’inspirer de tous les beaux génies, au lieu de suivre les règles étroites de l’école, il a raison, il parle d’or; voilà un bon conseil, mais ce n’est pas une méthode.

Ramus essaie-t-il de préciser un peu sa méthode prétendue, il fait voir qu’il n’en a pas le secret, car il dit qu’elle préside à la fois à la philosophie et aux mathématiques. Or quelle est la méthode des mathématiques? C’est la méthode par définition et démonstration, celle-là même dont Aristote a tracé les lois. Est-ce par hasard cette méthode que Ramus conseille à la philosophie? Mais alors que nous parle-t-il de quitter Aristote pour Platon, et de restaurer la méthode socratique et platonicienne? Socrate et Platon ne procédaient pas par syllogisme. Ils n’exposaient pas la vérité toute trouvée à des disciples dociles; ils faisaient profession de ne rien savoir et de chercher sans cesse la vérité; ils la cherchaient par l’observation. Voilà une grande méthode, et c’est l’honneur de Bacon et de Descartes de l’avoir rendue à l’esprit humain, qui semblait l’avoir oubliée, et d’en avoir ranimé la fécondité immortelle. L’un convie l’esprit moderne à l’observation de la nature, l’autre l’invite à se replier sur lui-même; l’un et l’autre excluent la méthode raisonneuse, abstraite, nominale, des scolastiques; l’un et l’autre sont pour l’observation. Ramus a-t-il connu et décrit cette méthode? Certainement non. L’a-t-il seulement entrevue? Tant s’en faut qu’il lui tourne le dos, quand il conseille formellement la méthode démonstrative, non pas seulement pour la géométrie, où elle est parfaitement de mise, mais pour les sciences physiques, où elle ne saurait s’appliquer.

Au fond, toutes les inventions de Ramus, toutes ces nouveautés dont on fait un peu trop de bruit et qu’on appelle pompeusement le ramisme, tout cela se réduit à quelques simplifications, à quelques perfectionnemens de détail qu’il a introduits dans la vieille théorie du syllogisme. Je lui demande alors pourquoi il a passé sa vie à combattre la logique d’Aristote? Si la méthode du raisonnement est la méthode universelle des sciences, alors l’Organon est le

  1. Voyez la préface des Scholœ in liberales artes, et M. Waddington, p. 343.
  2. M. Waddington en fait loyalement l’aveu, page 374.