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fâcheux succès de la photographie, s’inquiéter outre mesure des conséquences, ni s’y résigner d’avance comme à un mal irrémédiable. Ces succès peuvent grandir encore, ces envahissemens s’étendre et se généraliser : la défaite de la gravure n’en sera pas plus assurée pour cela. Pendant quelque temps peut-être, on continuera de s’abuser sur les prétendus avantages d’un procédé sans valeur sérieuse, sans mérite au point de vue de l’art ; mais la gravure ne deviendra pas pour toujours un luxe d’érudits, une sorte de rareté dont les esprits gourmets pour ainsi dire seront seuls à goûter le mérite. Tôt ou tard elle aura raison de nos dédains, parce qu’elle seule est en mesure de satisfaire à des aspirations plus sérieuses, à des besoins d’intelligence plus durables que la vaine curiosité ou les empressemens irréfléchis auxquels nous nous abandonnons aujourd’hui. Suit-il de là qu’elle doive sortir sans aucun préjudice de cette épreuve plus ou moins longue, et se retrouver, les mauvais momens une fois passés, en possession de tous ses anciens privilèges ? Telle n’est pas notre pensée. Il est très probable au contraire que la photographie ne cédera pas tout le terrain qu’elle a conquis, et d’ailleurs ses conquêtes, si injustes qu’elles soient pour la plupart, n’ont pas toujours, nous l’avons dit, le caractère d’usurpations. Rien que de fort légitime dans l’application du moyen photographique à la représentation des monumens et en général des objets qui intéressent l’archéologie ou l’histoire. Pour l’étude des sciences naturelles, les avantages sont tout aussi incontestables. L’entomologie, la botanique trouveront là des documens plus sûrs, plus détaillés, plus scrupuleusement exacts que le burin ne pourrait les fournir. Partout donc où l’authenticité absolue est la condition principale, l’unique mérite à rechercher, la gravure pourra être considérée avec raison comme insuffisante, et dans un temps donné se trouver hors d’usage.

Ne craignons pas de faire à la photographie une part plus large encore et de pressentir l’extension que, selon toute apparence, elle prendra ailleurs au détriment de la gravure. Que l’imagerie, les illustrations de livres à bas prix, tout ce qu’on pourrait appeler la gravure industrielle finisse par disparaître à peu près complètement, — cela est vraisemblable ; mais il n’y aura pas la d’atteinte grave portée à l’art. À vrai dire, ce ne sera qu’un genre d’industrie substitué à un autre, une modification purement matérielle, et peut-être même, sous ce rapport, une amélioration. On ne saurait s’effrayer beaucoup d’une révolution si humble au fond, ni en tirer un argument fort décisif contre l’avenir de la gravure en général. Les conditions qui lui seraient faites de ce côté, celles qui résultent déjà de l’emploi opportun du nouveau procédé dans d’autres occasions que nous avons indiquées, restent parfaitement indépendantes des conditions essentielles