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dit bien souvent qu’en passant à la cause de la réforme, sir Robert Peel avait épargné à son pays une révolution et sauvé l’aristocratie anglaise. N’est-ce point avouer que la question, telle qu’elle était posée alors, avait surtout un caractère politique, et qu’elle tirait principalement son importance de l’antagonisme qui, grâce au développement de la richesse manufacturière, se révélait presque violemment entre la classe aristocratique et les classes moyennes ? La réforme de la loi sur les céréales doit donc être considérée premièrement comme une mesure politique ; l’influence des doctrines du libre-échange n’y apparaît qu’au second plan.

Ce qui prouve que le gouvernement anglais ne se laissait pas dominer par les doctrines des libres échangistes, et qu’il ne renonçait pas à maintenir le principe de la protection, là où la protection semblait encore être nécessaire, c’est l’empressement avec lequel on le voit revenir lui-même sur ses propres actes, dès que ceux-ci lui paraissent de nature à mettre en péril de graves intérêts. Nous citerons pour exemple le retrait, en 1848, des mesures libérales adoptées deux ans auparavant pour l’introduction des sucres produits par le travail esclave. Les colonies réclamèrent contre le nouveau traitement qui leur était fait : elles démontrèrent que la concurrence était pour elles impossible, et qu’elles avaient encore besoin d’être protégées. Leurs plaintes furent écoutées, et malgré l’indignation de M. Cobden et de ses ligueurs, qui criaient à la réaction, malgré le démenti que devait recevoir, après un débat solennel, la théorie du libre-échange, le parlement n’hésita pas à restituer au sucre colonial un tarif protecteur. — L’année suivante, en 1849, lorsque l’on songea à réviser la législation sur la marine marchande, législation qui remontait au temps de Cromwell, le parlement eut à entendre de très vives remontrances contre le projet ministériel, et ces remontrances émanaient, non point seulement du parti protectioniste, mais encore des représentans de l’intérêt maritime, qui, lors des discussions de 1842 à 1846, s’étaient montrés les plus ardens pour obtenir la levée des prohibitions et la suppression des droits de douanes. — Enfin, lorsque l’acte du 26 juin 1849 sur la marine marchande fut voté, la chambre des communes ne se crut pas obligée d’adopter du premier coup, et pour l’honneur du principe, la réforme de la législation du cabotage. La première proposition qui lui fut faite en vue d’ouvrir éventuellement, et à charge de réciprocité, la navigation du cabotage aux marines étrangères, fut rejetée à une forte majorité ; elle ne triompha que cinq ans après, c’est-à-dire lorsque tous les esprits furent bien et dûment convaincus que le pavillon national conserverait, dans cette branche particulière de navigation, l’avantage que la législation antérieure avait pour but de lui réserver.

Tous ces incidens sont exposés et développés avec une grande lucidité dans l’écrit de M. Richelot, qui, en restituant ainsi à la réforme commerciale anglaise son véritable caractère, a rendu à la science économique un grand service. L’Angleterre a sagement fait, au point où était arrivée sa puissance productive, de réviser une législation commerciale qui avait cessé d’être une égide pour son industrie, et qui était devenue une gêne pour ses échanges. Le but de la protection étant atteint chez elle depuis longues années, — c’est-à-dire les manufactures britanniques ayant obtenu