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comme le plus hardi réformateur de l’Allemagne, a appliqué purement et simplement la théorie exposée par Frédéric List, dont les écrits ont conservé au-delà du Rhin une grande autorité. En un mot, c’est au système protecteur, pratiqué sainement, qu’il convient de faire honneur des progrès qui ont été récemment accomplis dans la législation économique de l’Allemagne.

Si nous portons nos regards sur les autres pays, nous remarquons partout, à côté du maintien de la protection, une série de réformes et d’adoucissemens de tarifs qui présagent, pour un avenir prochain, des remaniemens plus profonds encore dans la législation commerciale. En Russie, l’état de guerre, qui a privé l’empire de ses libres communications par mer, a amené l’ukase du 23 juin 1854, qui favorise, au bénéfice de la Prusse et notamment du port de Memel, les importations par terre. En Suède, le tarif de 1855, poursuivant l’œuvre du tarif de 1852, a levé un certain nombre de prohibitions, et en particulier celles qui frappaient encore les fers en barres, les tôles et les tissus. Le même esprit a présidé à la rédaction du tarif norvégien de 1854. En Belgique, le gouvernement, usant de la faculté qui lui a été donnée par la loi, a supprimé jusqu’à nouvel ordre les droits différentiels auxquels étaient assujetties les marchandises importées sous pavillons étrangers ; de plus, en présence de la cherté des subsistances et de l’insuffisance du combustible, les droits sur les denrées alimentaires et sur les, houilles ont été suspendus. Dans les pays d’Italie, les réformes ont été moins considérables ; on pourrait toutefois signaler divers changemens opérés dans les législations des États-Romains et du royaume de Naples. Enfin l’Espagne et le Portugal ont également cédé à- l’influence des idées nouvelles. Déjà le tarif espagnol de 1849 révélait un progrès notable. Depuis la révolution qui a ramené le général Espartero au pouvoir, tous les ministres qui se sont succédé au département des finances (et le nombre en est grand) ont apporté des plans de réformes douanières. En Portugal, le tarif de 1852 est à la veille d’une révision complète, dont une commission spéciale a été chargée de préparer les élémens. En un mot, de quelque côté que l’on se tourne, on aperçoit les symptômes les plus évidens d’une direction nouvelle imprimée à l’étude des intérêts commerciaux et d’une évolution très rapide des différens régimes économiques. Les crises intérieures qui ont désolé certains états, la guerre qui a occupé l’Europe entière, ont contribué à accélérer ce mouvement général. Ce n’est point le libre-échange tel que le prêchent certains économistes, ce n’est point la suppression des monopoles, des exactions manufacturières, de l’exploitation du consommateur par le producteur : c’est tout simplement la marche naturelle des choses. Dans la pensée des gouvernemens, le principe de protection n’a rien perdu de sa valeur ; seulement il a dû être modifié dans ses formes, devenues trop restrictives, et approprié aux progrès successifs de l’industrie comme aux, besoins des peuples. On ne saurait voir dans ce fait aucune contradiction avec le principe même, aucune abdication du passé. Alors que partout les manufactures sont arrivées à l’âge adulte et que le développement de la marine marchande et des voies de communication tend à égaliser dans les divers pays les prix de revient, alors que des relations de toute nature s’établissent et se propagent entre les régions les plus éloignées du globe, il serait insensé de maintenir,