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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/715

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dire une de ses plus belles harangues politiques, est celle qui a pour titre : De la Législation de l’impôt, et qui offre un tableau curieux de la complication et de la confusion des impôts sous l’ancienne monarchie. Il y a dans l’exorde de cette remontrance un mot qu’on ne peut pas lire sans émotion : « Je viens, dit M. de Malesherbes, plaider la cause du peuple au tribunal de son roi. » Hélas ! plusieurs années après, Malesherbes vint plaider la cause du roi au tribunal du peuple, et il ne gagna pas plus l’une que l’autre. Tristes et mystérieux défis que la vertu et la sagesse engagent contre la force des choses et qu’elles perdent presque toujours, sans, grâce à Dieu, se décourager jamais ! Et rien ne prouve mieux, selon moi, que les grandes qualités de l’homme lui viennent de Dieu que cette perpétuelle défaite de la vertu et de la sagesse dans leur lutte ici-bas contre les événemens et leur perpétuelle résistance : il y a longtemps que la vertu et la sagesse, si elles étaient purement humaines, se seraient lassées de la lutte[1].

Malesherbes prévoyait la révolution et voulait que le roi la prévînt par une réforme décisive dans le gouvernement. Je lis dans un mémoire adressé au roi en 1787, au moment où commençait entre le roi et le parlement une lutte qui finit par la révolution de 89, je lis quelques paroles vraiment prophétiques : « La résistance opposée aujourd’hui, dit M. de Malesherbes, à l’enregistrement des édits est d’un genre absolument différent de toutes les affaires qu’on a eu à traiter avec les parlemens depuis la mort de Louis XIV. Dans toutes les autres, c’était le parlement qui échauffait le public ; ici, c’est le public qui échauffe le parlement… Il n’est pas question d’apaiser une crise momentanée, mais d’éteindre une étincelle qui peut produire un grand incendie. Le roi trouvera peut-être que je me sers ici de ces grandes expressions si souvent employées dans les remontrances des cours, qu’elles ne font plus aucune impression ; mais je le supplie de ne point regarder les termes dont je me sers comme une exagération : je ne me mets en avant pour lui dire de tristes vérités que parce que je vois un danger imminent dans la situation des affaires, que parce que je vois un orage qu’un jour la toute-puissance royale ne pourra calmer, et parce que des fautes de négligence ou de lenteur, qui ne seraient regardées que comme des fautes légères dans d’autres circonstances, peuvent être aujourd’hui des fautes irréparables qui répandront l’amertume sur toute la vie du roi, et précipiteront son royaume dans des troubles dont personne ne peut prévoir la fin… On dira que le danger que

  1. « Unde esset magnum perseverare, nisi inter molestias, tentationes et scandala esset perseverandum ? » (Saint Augustin, sur le psaume 51.)