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— Dis donc, petite, il me semble qu’il ne court plus tant, le fugitif ? dit-elle.

Mlle du Rosier jeta un coup d’œil du côté d’Anatole.

— Oh ! je m’en suis bien aperçue, dit-elle en riant ; il ne tiendrait même qu’à moi de jouer au naturel une scène de comédie… Rien n’y manquerait, ni la chaise de poste, ni le postillon, ni l’échelle de corde, ni la fuite.

— Que veux-tu dire ?

— Rien que de fort simple. M. de Mauvezin s’est ravisé de me trouver à son goût, et j’imagine qu’un enlèvement ne lui déplairait pas trop.

— Est-il possible ! s’écria la baronne ; un enlèvement ! Il t’en a parlé ?

— Il ne l’a pas fait en termes clairs et précis ;… mais on sait ce que parler veut dire, et cela prouve tout au moins qu’il m’aime.

— Comment ! tu ne t’es pas indignée ! Proposer un enlèvement à une fille de ta condition, comme s’il n’y avait plus ni maire ni curé pour se marier !

Mlle du Rosier se mit à rire.

— Certainement le mariage serait un dénoûment plus convenable, dit-elle ; j’y gagnerais un mari, et M. de Mauvezin y gagnerait une tante alliée aux premières familles du pays. On vivrait honnêtement près de vous, on vieillirait ensemble, et l’on s’arrangerait de manière à n’être pas trop malheureux. Au premier coup d’œil, la chose semble toute naturelle, et voilà M. Deschapelles qui signerait volontiers au contrat. Malheureusement il n’y aurait pas de contrat. Et de bonne foi que voulez-vous que M. de Mauvezin fasse d’une grande fille qui lui apportera son cœur en dot comme une héroïne de romance ? C’est très joli en musique ces choses-là, mais cela n’a jamais suffi en ménage, et un conseiller à la cour des comptes est en droit de le savoir mieux que personne.

— Mais enfin j’ai trois millions en bonnes terres, et tu es ma nièce ! s’écria Mme de Fougerolles avec explosion.

Un éclair passa dans les yeux de Mlle du Rosier.

— Tiens ! dit-elle, il faut croire qu’il n’y a pas pensé.

Et elle s’inclina sur la main de la baronne pour la baiser. Mme de Fougerolles jeta ses bras autour du cou d’Alexandrine et l’attira sur son cœur.

— Tu ne me quitteras jamais ! dit-elle.

Une certaine émotion parut sur le visage de Mlle du Rosier.

— Je vous le promets, répondit-elle d’une voix sérieuse.

Le grand mot avait été dit. Mlle du Rosier adoptée par Mme de Fougerolles et proclamée son héritière, il ne s’agissait plus que de décider M. de Mauvezin à se déclarer, et il n’y avait pas là de grandes