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ensemble sur les rives du Bosphore. Les Autrichiens auraient semblé devoir leur succès à une nouvelle intervention des Russes, et le comte de Linange n’aurait pas pu refuser, s’il fût demeuré à Péra, de se joindre au prince Menchikof dans ses demandes et ses attaques contre le divan.

Une plume habile a raconté ici même[1] toutes les péripéties de la mission du prince Menchikof et le rôle si considérable joué dans ce grand drame diplomatique par lord Stratford de Redcliffe et Rechid-Pacha, à qui revient l’honneur d’avoir démontré avec évidence la nécessité où était l’Europe de résister par le glaive à la Russie. Les conséquences qu’allait entraîner cette démonstration pour la Turquie même n’étaient plus douteuses. La guerre devenait inévitable, et c’était sur les principautés qu’elle allait peser d’abord, replaçant ainsi en présence Omer-Pacha et les généraux russes sur un théâtre où ils s’étaient déjà connus.


II

On sait que les principautés furent envahies plusieurs mois avant la déclaration de guerre. Dès le mois de décembre 1852, les hospodars avaient de justes motifs de craindre une occupation, et au mois de mars 1853 les appréhensions croissantes du prince de Valachie lui dictèrent une lettre à Rechid-Pacha, alors hors des affaires, mais toujours regardé comme un ministre nécessaire, dans laquelle il lui conseillait de préférer l’amitié de la cour de Pétersbourg à celle de l’Occident.

Vers le 20 mai 1853, on sut à Bucharest que les troupes russes, concentrées le long du Pruth, avaient terminé tous leurs préparatifs pour le passage de cette rivière. La plus pénible agitation régnait à Bucharest et à Jassy dans les régions du pouvoir, et les inquiétudes du prince Stirbey furent vivement augmentées par la question que lui adressa un diplomate étranger, qui lui demanda quelle marche il comptait suivre, comment il espérait concilier ses obligations envers le protecteur avec ses devoirs envers le suzerain. Il crut ne devoir faire aucune réponse, mais ces simples paroles dessinèrent à ses yeux les difficultés de sa situation avec une netteté qu’elles n’avaient peut-être pas encore dans son esprit, elles déchirèrent un voile qu’il se plaisait à épaissir. Au milieu des incertitudes qui le troublaient, l’hospodar se décida à envoyer à Jassy, — pour féliciter sur sa convalescence le prince Ghika, qui avait été gravement malade, — son cousin, le colonel Nicolas Bibesco, en lui donnant l’ordre

  1. M. Eugène Forcade, dans la livraison du 1er mars 1854.