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chaude affaire eurent quinze cents morts ou blessés, et les Russes, près de quatre mille hommes hors de combat, dont soixante-seize officiers.

Osman-Pacha, qui commandait environ quatre mille hommes à lsaktcha et aux environs, se retira sans brûler une amorce et sans même chercher à porter secours autour de lui. Les garnisons turques de Babadagh et de Hirsova battirent en retraite dans le plus grand désordre et ne s’arrêtèrent qu’à Karasou, derrière le rempart de Trajan, où Mustafa-Pacha eut la plus grande peine à rétablir l’ordre dans son corps de douze mille hommes. En un jour, l’armée russe avait occupé la Dobroudja. Quinze mille hommes passèrent le Danube d’Ismaïl sur la rive droite, vingt-cinq mille de Galatz à Zatokar et douze mille de Braïla à Matchine, en tout cinquante mille hommes, dont quarante-deux mille d’infanterie avec cent soixante bouches la feu. Le commandement supérieur de ces troupes fut confié à l’aide-de-camp général Lüders. Avec l’invasion russe commencèrent les dévastations de la Dobroudja ; les Ottomans, les Tartares, les cosaques nekrasowtsi et zaporogues[1], qui habitaient cette contrée, fuyaient devant les Russes ; les Grecs et les Bulgares se retiraient devant les

  1. Après le premier démembrement de la Pologne, en 1772, une partie des cosaques qui habitaient sur les bords du Dnieper, et qu’on appelait cosaques zaporogues (le mot porogh signifiant une chute d’eau, un fort courant sur le Dnieper, et saporogh, au-delà des courans), ne voulurent pas se soumettre à la Russie. Ils émigrèrent en Turquie, où on leur donna les terres situées sur les bords du Danube, en leur permettant de se gouverner d’après leurs anciennes coutumes. Les Zaporogues choisissaient ainsi chaque année parmi eux un chef qui recevait le nom d’ataman, avec le droit de vie et de mort. Ces cosaques, qui étaient au nombre de vingt mille, étaient obligés de fournir un contingent militaire dans les guerres de la Turquie. Leur dernier ataman, Vladki, les trahit, et les vendit aux Russes en 1828. Ils furent transportés sur les bords de la Mer-Noire, d’où leur vient le nom de Czernomortze, qu’ils portent maintenant. Un grand nombre d’entre eux abandonna de nouveau les drapeaux russes et retourna sur les bords du Danube. On comptait, au commencement de la nouvelle guerre, six mille de ces émigrés, occupés à la pêche et disséminés dans toute la Dobroudja, depuis Routschouk jusqu’à Toultcha. Par le traité d’Andrinople, la Turquie s’était engagée à ne jamais leur accorder une administration séparée, ni à les réunir en corps d’armée. Se croit-elle maintenant libre d’en agir autrement ? Les Nekrasowtsi sont des cosaques du Don qui ont émigré en Turquie en 1736, à cause des persécutions dirigées contre les vieux croyant sous l’impératrice Anne. À cette époque, Ignace Nekrassa se mit à la tête des mécontens et quitta les bords du Don. Il se réfugia en Crimée et y mourut. Après l’occupation de cette province, ces cosaques sont venus sur les bords du Danube, d’où un grand nombre se sont transportés en Asie, près de Brousse, où ils forment encore un groupe de cinq mille hommes ayant une administration nationale sous un chef élu parmi eux (ataman). Près de Toultcha, on compte plusieurs villages, entre autres Siry-Kioï, Jourylowka, Novesielo, habités par les vieux croyans, parmi lesquels il y a beaucoup de cosaques nekrasowtsi. La masse de ces habitans s’appelle Lipovan, du nom que prennent les origénistes, secte très répandue en Russie, et qui a cherché un refuge dans la Dobroudja contre les justes sévérités de l’autorité russe. Les Zaporogues parlent la langue ruténienne, telle qu’on la trouve en Wolhynie, en Podolie et en Ukraine. Les Nekrasowtsi et les Lipovans parlent le vrai russe.