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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/870

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satisfaite des efforts accomplis, semble ne plus rien désirer, l’harmonie, appliquant ses procédés au chant ecclésiastique, qu’elle dénature de plus en plus, aussi bien qu’aux mélodies populaires, alors si nombreuses et si vivaces, réalise de nouveaux progrès et acquiert la régularité d’un art véritable dont les combinaisons captivent l’attention générale. Les intervalles sont épurés et définitivement classés en consonnans et en dissonnans. Les consonnances parfaites distinguées des consonnances imparfaites par le sentiment plus ou moins grand de quiétude ou de repos qu’elles procurent à l’oreille, les parties devenues plus nombreuses, reçoivent une nouvelle direction, et leur entrelacement est soumis à des règles qu’on respecte encore aujourd’hui. Enfin, sous les noms de musique figurée et de contrepoint, que lui donna pour la première fois un célèbre théoricien du XIVe siècle, Jean de Muris, l’harmonie devient un art savant et compliqué dans lequel se distinguent une classe de compositeurs qui méritent de nous arrêter un instant.

Dès la fin du XIVe siècle on voit s’élever dans les Pays-Bas, dans le nord de la France, en Hollande et aussi en Angleterre, un nombre considérable de musiciens célèbres qui s’appliquent à perfectionner toutes les parties de l’art d’écrire et deviennent les premiers harmonistes de l’Europe. Ces musiciens, que l’histoire désigne sous la qualification commune de Flamands, Fiaminghi, parce que la plupart sont originaires de la Flandre, remplissent un interrègne de cent cinquante ans, qu’on peut subdiviser en trois différentes époques. La première est illustrée par Guillaume Dufay, par Binchois, Dunstable et Obrecht, ses contemporains ; la seconde est surtout remarquable par l’avènement d’Okeghem, chantre et chapelain du roi de France Charles VII, le plus savant contrepointiste de son temps, et le maître, à ce que l’on croit, de Josquin Desprès, homme de génie dont la gloire remplit toute la première moitié du XVIe siècle. Guicciardini, dans son Histoire des Guerres de Flandre, parle avec enthousiasme de ces compositeurs célèbres, qui se répandent dans toute l’Europe, sont recherchés par tous les princes souverains, et dirigent toutes les chapelles, depuis celle du pape à Rome jusqu’à notre chapelle ducale de Saint-Marc.

— Es-tu bien sûr, abbé, de ce que tu dis ? Notre chapelle ducale aurait eu des étrangers pour directeurs ! s’écria en ce moment avec un sentiment de surprise et de chagrin patriotique le sénateur Zeno.

— Très certain, répondit l’abbé Zamaria, mais que votre excellence se rassure. Ces ultramontains, qui brillent un instant dans l’histoire de l’art et viennent fondre sur l’Italie, où ils s’emparent des meilleures positions, ne sont guère que des facchini, des ouvriers laborieux et intelligens, qui déblaient le terrain et préparent la langue dont se servira un génie vraiment créateur qui les éclipsera tous