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l’autorité ne peut empêcher, se dégage un art nouveau dont j’ai raconté les vicissitudes. Dans le grand et magnifique concert de la renaissance, alors que Venise s’élève radieuse par la main de ses architectes, de ses peintres et de ses sculpteurs, elle produit des musiciens qui ajoutent à sa gloire un rayon de plus, et qui réfléchissent non moins fidèlement les propriétés de son génie. Fondée par un maître flamand, qui lui communique le germe des combinaisons harmoniques, notre école de musique a eu les mêmes destinées que notre école de peinture, qui a reçu aussi des artistes ultramontains la première étincelle du coloris qui la distingue essentiellement. Qui ne sait en effet qu’Albert Dürer, Hemmelinck de Bruges, Gérard de Gand, Vivien d’Anvers, et beaucoup d’autres peintres de la Belgique, de la Hollande et de l’Allemagne furent accueillis à Venise avec la munificence hospitalière qui nous caractérise, et qu’indépendamment du fameux bréviaire du cardinal Grimani, qui contenait de si nombreux témoignages de leurs talens, les galeries de nos patriciens étaient remplies de leurs meilleurs chefs-d’œuvre ? Mais si Antonello de Messine vint révéler à Jean Bellini le secret de la peinture à l’huile, qui avait été trouvé récemment par Van Eyck de Bruges, l’école de Venise eut bientôt une telle supériorité dans l’art magique du coloris, qu’elle fut à son tour l’institutrice des peintres flamands et néerlandais. Elle paya largement sa dette de reconnaissance, puisque l’œuvre du Giorgione, de Titien surtout, du Tintoretto et de Paul Véronèse sont la source où le génie de Rubens est venu s’abreuver. Telles ont été également l’origine et l’influence de notre école musicale, qui, après avoir été instituée par un contre-pointiste flamand, a formé de nombreux élèves, parmi lesquels Léon Hasler et Henri Schütz sont allés répandre en Allemagne et dans le nord de l’Europe la science, le coloris et les tendances dramatiques qu’ils avaient puisés dans l’école de Venise et dans l’enseignement de leurs maîtres, Andréa et Jean Gabrieli. Bien que ces relations fréquentes de l’Allemagne avec l’Italie, et particulièrement de la Hollande et de la Belgique avec Venise, puissent s’expliquer par le grand événement de la conquête, par la position géographique de notre belle cité et le rôle politique et commercial qu’elle a joué jusqu’au milieu du XVIIe siècle, nous serions tenté de voir dans cet échange de procédés et d’influence réciproque la manifestation d’un rapport plus intime de la nature des choses. Il existe une si grande analogie entre le son et la couleur, entre les facultés de l’artiste qui se distingue par l’éclat du pinceau et celles du compositeur qui a le sentiment de la modulation, source du coloris et de l’expression dramatique, qu’il n’est pas étonnant que des peuples doués des mêmes aptitudes aient été attirés l’un vers l’antre et qu’ils se soient communiqué les propriétés natives de leurs