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l’auteur. Les omoplates dessinent leur forme au lieu de se laisser deviner; il fallait mettre les omoplates d’accord avec les genoux et les malléoles. Qu’on accepte ou qu’on répudie le parti auquel il s’est arrêté, on est obligé d’admirer son habileté. Il a surmonté avec bonheur toutes les difficultés d’un tel sujet, et parmi les statuaires contemporains de notre pays, je n’en sais pas un qui ait résolu un pareil problème. Ni l’antiquité, ni la renaissance n’ont essayé de représenter la puberté naissante. À ces deux époques, l’art voulait des formes achevées, ou du moins des formes empreintes d’un caractère précis, des enfans, des filles nubiles, des hommes arrivés à la virilité. Ainsi, dans le groupe du Laocoon, les fils du grand-prêtre n’ont pas le caractère de l’adolescence. Sans l’amoindrissement des proportions, ils se distingueraient à peine de leur père. Évidemment c’est une faute; mais cette faute ne blessait pas l’antiquité, qui dans l’art sacrifiait volontiers à la beauté toutes les autres conditions du sujet. La Jeune Fille au tombeau de Botzaris ne relève donc pas de la tradition : c’est une œuvre toute moderne, expression fidèle de la réalité, qui par ce mérite unique étonne et charme les connaisseurs.

L’Enfant à la Grappe, par la conception, sinon par l’exécution, se rattache aux souvenirs poétiques de la Grèce. La figure n’a guère que deux ans. Debout sur la pointe des pieds, elle essaie d’atteindre au fruit qu’elle convoite; ses bras sont tendus avec toute l’énergie que donne la gourmandise. Il y a sur la panse des amphores décrites par Théocrite, et que les pâtres se disputent en jouant de la flûte, des sujets dans ce goût simple et naïf. David n’a pas traité cette donnée avec moins de bonheur que la donnée précédente. Il a représenté l’enfance avec autant d’habileté que la puberté naissante. La poitrine et le ventre sont des prodiges de vérité. Au point de vue de la statuaire, l’Enfant à la Grappe est un choix mieux inspiré que la Jeune Fille au tombeau de Botzaris. J’ai déjà dit pourquoi David, avec une sagacité que nous devons louer, a reproduit tous les caractères de l’enfance et n’a pas tenté d’atténuer ce qu’ils ont de singulier pour l’ignorance. Ainsi le torse, pour des yeux qui ne sont pas familiarisés avec les modèles de cet âge, paraît trop long, les membres inférieurs semblent trop courts; mais c’est là précisément le vrai type de l’enfance. Et si j’énonce en toutes lettres cette prétendue singularité, c’est que je l’ai entendu signaler plus d’une fois comme un sujet de reproche. L’antiquité n’avait pas méconnu le type exprimé par David avec tant de fidélité. Il me suffit de rappeler l’’Hercule enfant que nous avons au Louvre. Je pourrais citer un bas-relief qui se voit à Reims sous la voûte de la porte de Mars, et qui représente Rémus et Romulus allaités par la louve. Dans ces deux ouvrages, la longueur relative du torse et des membres inférieurs