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dernier moment, quelques académiciens timorés étaient sur le point, dit-on, de s’arrêter à mi-chemin et de n’accepter que l’une de ces candidatures, assez peu littéraires. Le scrutin est venu, et le triomphe a été complet. On raconte que le soir même de l’élection un des Nestors de l’Académie exprimait tout son contentement de cette importante opération de stratégie. « Maintenant, ajoutait-il en parlant à l’un de ses collègues, je reconnais que la prochaine élection doit être littéraire ; aussi vous pouvez compter sur ma voix pour M. L… » Nous n’ajouterons pas le nom, il pourrait trop bien rentrer dans cet ordre de combinaisons intimes qu’aime l’Académie, et où la littérature n’a point absolument la première place.

L’Espagne était autrefois le pays des fictions ; elle est aujourd’hui le pays de la réalité, et la réalité, telle qu’elle apparaît au-delà des Pyrénées, n’a rien de séduisant ni même de rassurant. La Péninsule ne cesse de tourner dans un cercle d’impossibilités et de crises sans réussir à vaincre cette fatalité qui la domine. Un gouvernement faible parce qu’il est divisé et qu’il manque de point d’appui dans les cortès, un congrès épuisé et obstiné à vivre, aussi impuissant à donner qu’à recevoir une impulsion, un pays qui glisse dans les séditions et les émeutes faute d’être dirigé, lorsqu’il aurait visiblement le goût de l’ordre et des travaux propres à développer sa prospérité matérielle, tel est par malheur le résumé de la situation de l’Espagne, situation qui ne semble s’améliorer en certains momens que pour retomber bientôt dans des incertitudes nouvelles et plus graves.

Un des plus étranges caractères de ces événemens qui se sont accomplis il y a deux ans, et d’où est née la situation actuelle de la Péninsule, c’est que du sein de cette révolution il ne s’est point dégagé une pensée véritable. Aujourd’hui encore, après deux années, on peut se demander ce qui a triomphé réellement. Les opinions sont arrivées à se neutraliser bien plus qu’à se constituer en force politique et à s’organiser pour faire prévaloir un système. De là d’irritans débats, des luttes personnelles ; des rivalités d’ambitions, des discussions parlementaires, où les lois les plus importantes sont souvent à la merci d’un amendement de hasard. Lorsque le danger s’est trouvé trop pressant, comme l’an dernier, en présence des insurrections carlistes qui éclataient dans l’Aragon et dans la Catalogne, sans doute il s’est rencontré des hommes qui, offraient leur appui au gouvernement : ils confiaient au cabinet toute sorte de facultés extraordinaires ; mais dans le moment même où il créait une dictature véritable, le congrès ne cessait de voter des lois empreintes du plus singulier esprit révolutionnaire. C’était une incohérence complète, et la constitution qui a été votée, mais qui n’est point en vigueur, et qui n’est pas même promulguée, est la triste fille de cette incohérence. Les lois organiques que l’assemblée constituante de Madrid s’occupe à discuter ont le même caractère. Récemment encore le congrès a voté une loi électorale ; d’après le système qui a prévalu, il y aura incompatibilité complète entre toutes les fonctions publiques, judiciaires, administratives ou militaires et les fonctions de député, tandis que d’un autre côté les membres du sénat, soumis également à l’élection, pourront exercer tous les emplois. Il est facile de voir où cela peut conduire, surtout dans un pays comme l’Espagne, où les capacités ne sont pas aussi nombreuses qu’on pourrait le penser, et où tous les hommes de quelque intelligence se tournent