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montera, soit dans les pays producteurs, soit dans les pays consommateurs ; les frais de revient s’élèveront, et les producteurs nationaux, qui sont tout portés, auront toujours un avantage marqué sur ceux qui sont séparés de nous par des milliers de lieues.

Je n’ai pas encore dit la plus forte de toutes les raisons pour se rassurer. Cette raison capitale, décisive, sans réplique, c’est le voisinage du marché anglais. L’Angleterre a ouvert ses portes et pour toujours, au bétail que peut lui vendre le monde entier ; elle paie habituellement la viande plus cher que nous, quoiqu’elle en produise davantage, parce qu’elle en consomme encore plus ; que pouvons-nous craindre alors ? Comme toutes les marchandises, la viande va où on la paie le mieux ; nous ne pouvons attirer, en fait de viande étrangère, que celle qui, par son origine, a plus de profit à venir chez nous qu’en Angleterre, à cause d’une différence dans les frais de transport ; la quantité en est nécessairement très bornée puisque les deux pays se touchent. C’est le marché anglais qui doit donner le l’on comme le plus avantageux ; tout tend et tendra là. Dans le Holstein, le Mecklembourg, la Hollande même, la production du bétail n’a en vue que le marché anglais. Que dis-je ? nous-mêmes, nous avons sur beaucoup de points un véritable intérêt, même à l’heure qu’il est, et à plus forte raison si les prix descendent, à travailler pour ce marché.

On a l’habitude, quand on traite ces questions, de tout confondre dans des termes généraux, de considérer, par exemple, l’importation et l’exportation comme deux faits simples qui s’excluent complètement ; c’est une erreur. Il peut très bien arriver qu’il y ait avantage à importer sur un point du territoire et à exporter sur un autre. Ce qui le prouve, c’est que nous avons une exportation qui ne s’arrête jamais, même en temps de hausse excessive comme aujourd’hui. En 1855, nous avons importé 49,000 bœufs et 300,000 moutons ; nous avons en même temps exporté 12,000 des premiers et 50,000 des seconds, et si nos propres prix n’étaient pas si hauts, nous aurions à la fois moins importé et exporté davantage. Voilà ce qu’il ne faut pas perdre de vue. Le marché anglais n’agit pas seulement sur les marchés étrangers, il agit aussi sur les nôtres ; tel bœuf normand ou breton peut se diriger sur Jersey ou sur Londres à moins de frais que sur Paris ou sur Rouen, au même moment où un acquéreur alsacien ou provençal a plus de profita acheter à ses voisins du Rhin ou des Alpes qu’à des vendeurs nationaux beaucoup plus éloignés. Les frais de transport ne profitent, en fin de compte, ni aux producteurs ni aux consommateurs. Vouloir que le département du Var et le département du Nord, qui sont à 250 lieues l’un de l’autre, se servent exclusivement d’approvisionneurs et de débouchés, quand ils peuvent tous deux mieux acheter ou mieux vendre à leurs portes, c’est vouloir par trop l’artificiel.