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l’honneur de ses sujets, lui faisant entendre que, comme on l’accusait déjà de trop de complaisance pour les chrétiens, cette affaire pouvait occasionner des troubles graves, si elle n’était pas poursuivie avec la dernière rigueur. Le bey Ahmed était fort indulgent pour les péchés du beau sexe, quoiqu’il n’en tirât, comme on sait trop, aucun avantage personnel ; mais comme il allait entreprendre son voyage de France, ce qui était un scandale pour les fanatiques, il dut paraître courroucé, et autorisa le muphti à instruire l’affaire, en lui recommandant néanmoins de ne pas être trop cruel. Le muphti, revenu chez lui, fit comparaître les deux femmes arrêtées, et leur demanda les noms et la demeure des autres. Comme elles refusèrent de les dire, on les mit sous le bâton ; mais les premiers coups ayant déterminé l’accouchement de la Juive, elle fut soustraite au supplice, qui fut long et cruel pour la courtisane. Celle-ci resta inflexible, et le muphti ne put rien savoir. Le bey, instruit du courage de cette femme, défendit de renouveler la torture qu’elle avait supportée avec tant de constance, et prescrivit qu’on se contentât de la transporter à Kerkennah, où elle a trouvé à faire un mariage convenable. Son héroïsme méritait cette fin, et permet de croire que, rentrée dans la bonne voie, elle aura fait une bonne mère de famille.

Dans les campagnes et les tribus, les femmes sont le plus habituellement sans voile, et ont autant d’occasions que les nôtres de voir les hommes et d’en être vues, ce qui n’empêche pas qu’elles ne soient généralement de mœurs moins faciles que dans les villes. C’est principalement là que naissent ces grandes passions qui ont tenu de tout temps une si large place dans l’existence des Arabes, et qui à présent encore sont souvent des causes de guerre entre les tribus. Or ces passions, ardentes, exclusives tant qu’elles règnent dans toute leur force, impliquent un choix du cœur qui spiritualise l’amour en quelque sorte, et ennoblit au moins ce qui lui reste de matériel. Les populations qui ont conservé un fond de chasteté peuvent seules connaître cette forme de l’amour, qui devient alors pour les femmes le plus sûr gardien de la vertu. Les femmes mauresques ne sont le plus souvent que libertines, les femmes arabes sont susceptibles d’amour. En ceci cependant, comme en toute chose, on ne peut établir de règles absolues. De grandes et pures passions peuvent naître dans les villes, de même que des relations de simple libertinage peuvent se former dans les tribus.

Quoique les femmes tunisiennes ne jouent en aucune façon du piano, que la tarbouka[1] soit à peu près le seul instrument de musique qu’elles manient, et qu’enfin très peu d’entre elles sachent

  1. Espèce de tambour de basque grossier formé d’une peau tendue sur l’orifice d’un vase de terre.