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les prix fabuleux auxquels les Européens leur ont vendu des objets de rebut, inutiles, souvent ridicules et quelquefois dangereux. S’ils veulent véritablement ramener la prospérité dans des provinces trop longtemps désolées, que toutes leurs vues, toutes leurs pensées soient tournées vers l’agriculture ; qu’ils l’encouragent par une administration juste, sensée, qui n’égorge pas la poule aux œufs d’or. Quant aux procédés de culture, qu’ils ne cherchent pas de longtemps à en introduire de nouveaux : ceux que les Arabes connaissent, qui leur sont familiers, suffisent à tous les besoins du moment. Que le paysan puisse cultiver avec sécurité, récolter pour lui et non pour d’autres, qu’il puisse placer facilement ses excédans, et l’on verra des merveilles. Après quelques années de cette administration réparatrice, alors que la confiance sera revenue, que l’aisance commencera à se faire sentir, on pourra provoquer avec succès des associations de propriétaires pour établir ou plutôt rétablir de bons systèmes d’irrigation, chose vers laquelle le génie agricole des Arabes est naturellement porté. J’ai déjà parlé des barrages que l’on pourrait construire sur la Medjerda. Il y a dans la régence de Tunis beaucoup de rivières moins considérables qui appelleraient des travaux de même nature. On pourrait aussi établir, en plusieurs lieux, des réservoirs d’eau pluviale, en élevant des digues au travers de certains vallons propres à être convertis en étangs. Le lac de Belgrade, près de Constantinople, doit son existence à un travail de cette nature. On remarque de ces réservoirs en plusieurs endroits de la Perse ; mais c’est surtout dans les Indes qu’on s’est adonné à ce système d’arrosage, lorsque ce pays jouissait de son indépendance politique. Chez les Matmata, tribu de l’Arad, dans la régence de Tunis, les cultivateurs barrent les gorges des vallées qui s’y prêtent, non de manière à en faire des réservoirs d’eau pluviale, mais afin d’y retenir cette eau un peu de temps et d’améliorer ainsi un sol trop souvent brûlé par une chaleur tropicale. Les oliviers qui croissent dans ces vallées sont infiniment plus gros et plus chargés de fruits que les autres.

Il existe certainement dans la régence de Tunis une foule d’excellens élémens qu’il ne s’agirait que de mettre en œuvre, et qu’on pourrait exploiter sans première mise considérable pour la prospérité de ce petit état, si pauvre maintenant. Je crois d’abord qu’on pourrait tirer plus de sel qu’on ne le fait des sebkha, où l’on n’a vraiment que la peine de se baisser pour le prendre. Les forêts, qui sont assez étendues non-seulement dans le nord, mais encore dans une partie de l’ouest, pourraient être soignées et exploitées, surtout celle de Tabarka et la belle forêt de gommiers voisine de Thala, dont je signalai l’existence au bey Ahmed, qui se montra enchanté