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l’histoire se faisait. Des événemens considérables avaient lieu, de grands noms dominaient certaines époques ; il fallait tenir compte des faits et diriger dans sa marche future cette grande nation qui s’élançait en avant et débordait de toutes parts à la manière des grands fleuves grossis de mille affluens. De là deux sortes de monumens littéraires parmi ceux qui ne sont pas d’un ordre purement dogmatique ou spéculatif : les pourânas, poèmes religieux, au nombre de dix-huit, traitant de la création des mondes, et qui présentent à leur manière le tableau des premières familles humaines, la généalogie des anciens patriarches aryens et des rois de l’époque historique, — et les épopées, le Mahâbhârata, le Sâmâyana, le Maghouvança, etc., poèmes historiques écrits sous l’influence partout sensible de l’idée brahmanique, et même sous l’inspiration de l’esprit de secte. Dans ces deux genres de compositions, l’action principale du poème et la moralité de la légende reposent toujours sur un personnage qui est un guerrier, un kchattrya de race aryenne, devenu roi par l’onction sacrée. Il ne pouvait en être autrement : une société se personnifie dans ceux qui agissent et la font agir. Or, si les brahmanes représentent la vie de la société hindoue, s’ils en sont l’âme et l’esprit, les rois en ont été le cœur et le bras ; ils lui ont donné la vie extérieure, le mouvement, ce par quoi l’idée brahmanique, qui cherchait à la contenir et à la diriger, s’est révélée aux yeux du monde. Examiner la formation et le développement de la caste royale et militaire, c’est donc étudier l’ensemble de la société hindoue dans son principe et dans ses tendances ; mais avant de rechercher comment le pouvoir temporel a été exercé durant tant de siècles par les familles guerrières qui avaient conquis l’Inde sur des peuples barbares, il faut établir quel rang ont occupé les familles sacerdotales, dépositaires de la puissance spirituelle, et aussi ce qu’était, dans cette organisation toute théocratique, la population industrielle et agricole.


I

Il y a longtemps que le législateur hindou a fait entendre aux rois des vérités que l’on a crues modernes. En leur imposant des devoirs équivalens à leurs droits, en leur rappelant sans cesse qu’il y a deux écueils contre lesquels la royauté va trop souvent se heurter, — l’impiété née de l’orgueil et l’iniquité qui produit la désaffection des peuples, — le brahmanisme fait sentir aux princes qu’ils ne sont rien de plus que des hommes puissans chargés de faire respecter les lois divines et humaines. C’est au nom de la Divinité elle-même, c’est en leur qualité de prêtres et de légistes, que les brahmanes ont osé faire