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papier, perd la moitié de sa grâce ; mais il n’est pas homme à déserter le drapeau qu’il a choisi. Tant que l’impiété ne sera pas terrassée, Théodule poursuivra sa tâche, et s’il n’entre pas à l’Académie, il ne sera pas oublié du moins dans les prières des âmes pieuses.

Le traité passé entre Théodule et Polyanthe était une heureuse idée ; mais pour qu’il portât ses fruits, il aurait fallu laisser le protocole ouvert et recruter d’autres signatures. Un savant et un gentilhomme qui s’accablent d’éloges mutuels ne font pas assez de bruit pour persuader au public qu’ils sont doués d’un génie souverain. Il serait indispensable de trouver des échos. Ces deux voix mélodieuses se perdent au milieu des clameurs de la ville. Si Polyanthe et Théodule veulent résolument forcer les portes de l’Académie, ils suivront le conseil que je leur donne, et propageront leur renommée par des moyens plus puissans. Théodule n’a pas besoin d’être averti deux fois : il comprend à demi-mot, il en sait plus que Polyanthe sur l’art de faire son chemin. Louer sans réserve, sans restriction, tous les écrivains qui siègent à l’Académie, c’est la sans doute une preuve d’adresse : Théodule va plus loin. S’il avise un débutant fils ou neveu d’académicien, il le vante hardiment comme l’espoir de la jeune littérature. Les paroles se pressent sur ses lèvres, et le nombre de ses cliens s’accroît de jour en jour. On dit que Théodule n’aurait jamais songé à l’Académie sans les instances dont il a été l’objet. Pour moi, j’ai peine à le croire ; un esprit si fin, et qui sait ce qu’il vaut, n’a pas besoin d’un tel aiguillon pour poser sa candidature. Parmi ceux qui tiennent une plume aujourd’hui et n’appartiennent pas à l’église, il possède seul les saines traditions. S’il entrait à l’Académie, ce n’est pas lui qui devrait remercier ; son élection serait une précieuse conquête.

Voilà ce que pensent de Théodule les honnêtes gens, et prenez ici le mot dans l’acception que lui donnaient Balzac et Voiture ; mais tous les esprits n’ont pas assez de délicatesse pour comprendre un mérite si élevé : aussi Théodule a-t-il essuyé plus d’une mésaventure. Quand il a maudit les gloires populaires au nom des saines doctrines dont il possède le secret, il a rencontré plus d’un contradicteur. Passe encore pour la contradiction, Théodule a réponse à tout, il n’y a pas d’argument qui le déconcerte ; mais hélas ! ces diatribes furieuses ont excité encore plus d’hilarité que de colère. Il aspirait à la célébrité, il a obtenu le ridicule et le bruit. Le plus difficile est fait cependant, il ne lui reste plus qu’à échanger le ridicule contre l’autorité. Théodule y pourvoira : l’ironie voltairienne de Paris ne fait pas loi pour la France entière ; la province n’est pas encore entichée d’incrédulité. Quand Théodule va se délasser dans le domaine de ses aïeux, il trouve son nom dans toutes les bouches,