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irrités contre la couronne et sûrs de leur force dans la chambre étaient décidés à l’arrêter dès les premiers pas. Ils avaient pour alliés les haines invétérées de l’Irlande, les passions intraitables des orangistes, O’Connell, qui regardait Peel comme son plus personnel ennemi, les ultra-tories, qui le compromettaient en le soutenant, et les radicaux, trop opposés à l’esprit général de sa politique pour se contenter de ses concessions. À travers les propositions du cabinet, lord John Russell s’empressa de jeter la question sur laquelle sir Robert Peel ne pouvait et ne voulait à aucun prix transiger, l’appropriation à l’éducation publique de l’excédant des revenus de l’église d’Irlande. En vain Peel s’efforça de faire ajourner ce débat et d’obtenir pour les réformes qu’il avait proposées la priorité ; après huit jours de discussion ardente, trois votes successifs constatèrent la force supérieure de l’opposition et mirent le cabinet dans une insurmontable minorité. Le lendemain 8 avril, Peel prit la parole : « Je dois annoncer à la chambre, dit-il, qu’après le vote d’hier soir nous nous sommes unanimement sentis obligés, moi et mes collègues, de déclarer au roi que, dans notre conviction, c’était notre devoir de remettre à sa disposition les charges que nous tenions de lui. Nous n’avons pris cette résolution, je n’hésite pas à le dire, qu’avec une extrême répugnance… Et j’ai la confiance que la grande majorité de cette chambre me fera l’honneur de croire que cette répugnance ne provient que d’un principe politique. Je suis profondément convaincu que, lorsque dans une grande crise un homme public se charge de gouverner les affaires de son pays, il contracte l’obligation de persévérer dans cette tâche aussi longtemps qu’il le pourra avec honneur. Aucune indifférence pour la vie publique, aucun dégoût des fatigues et des ennuis qu’elle impose, aucune considération d’agrément personnel, aucune tristesse de la vie privée n’autorisent un homme public à quitter, sans motif impérieux, le poste où son souverain l’a placé ; mais en même temps il y a un grand mal à donner au pays le spectacle d’un gouvernement qui ne trouve pas dans la chambre des communes l’appui nécessaire pour conduire sûrement les affaires du pays et pour exercer sur les actes de cette chambre elle-même une influence que sa confiance seule peut donner. À ce spectacle de faiblesse, il y a des limites qu’il ne faut pas dépasser. Après tout ce qui est arrivé depuis le commencement de la session, le jour est venu, je pense, où nous devons nous décharger de la responsabilité qui pèse sur nous… J’ai voulu donner cette explication brièvement et de façon à ne point susciter de sentimens amers. Toute ma vie politique s’est passée dans la chambre des communes, et c’est la aussi que j’en passerai le reste ; quelles que soient les luttes des partis, je m’appliquerai toujours, pour mon compte, à