Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 3.djvu/359

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et légères, et qui sait ? elle aimait peut-être ce noir cabinet, théâtre de ce long sacrifice. La jeunesse a de ces privilèges. Il n’est pas de recoin si obscur, si désolé, où elle ne puisse tisser ses rêves, légers et flottans comme les fils de la Vierge.

La tante Thomasine me fit remarquer, peu de temps après cette promenade, que Hugh ne passait plus beaucoup de soirées auprès de nous. Elle se félicitait de le voir si assidu chez le docteur, dont le commerce philosophique devait, selon elle, lui être fort utile. Je n’avais pas attendu les remarques de la chère tante pour constater les fréquentes absences de mon frère ; mais, un peu plus sur mes gardes qu’elle ne l’était, je les attribuais à Mary plutôt qu’au vieux professeur. Hugh ne m’avait encore rien dit, et j’attendais de pied ferme les confidences qu’il avait à me faire. Je m’amusais à voir l’embarras de Mary, quand il était auprès d’elle, et l’attention toute spéciale qu’elle accordait à la plus banale anecdote de son enfance, racontée, — si longuement qu’elle le fût, — par la bonne tante Thomasine. Que si, durant ces sortes de causeries, on entendait bruire sur l’escalier le pas ferme et hardi du jeune homme, la jeune fille se taisait, et ses joues s’empourpraient, pareilles aux nuages du couchant. Maintenant pourquoi Hugh ne me disait-il rien ? J’en étais étonnée et peu satisfaite, Il devenait de moins en, moins expansif, il semblait en proie à de tristes préoccupations. Ce ne pouvait être relativement à ses affaires, puisque M. Flinte, venait justement de lui assurer une petite part d’intérêt dans les opérations de sa maison. Je m’étais dit en apprenant cette bonne nouvelle : S’il a été retenu jusqu’ici par la pensée d’associer Mary à une destinée encore incertaine, voici, qui le met bien à son aise, pour lui demander. — Et non-seulement il ne faisait pas cette démarche décisive, mais il aillait de plus en plus rarement chez le docteur ; sa tristesse semblait augmenter, et quand on lui parlait de son état, il ne voulait pas admettre que rien y fût changé. C’était à ne le plus comprendre.

J’avais promis à la tante Thomasine de la ramener à Burndale et d’y passer quelques semaines auprès d’elle. La veille de mon départ, la tante s’étant couchée de bonne heure pour se préparer aux fatigues du voyage, je demeurai seule avec mon frère. Penché sur la table, où il avait étendu une grande feuille de papier collée sur toile, il étudiait ce document avec, une attention soutenue. Ses yeux plus brillans qu’à l’ordinaire, ses lèvres moins étroitement unies l’une à l’autre, indiquaient chez lui une disposition favorable. Je pensai que je pouvais, avec ménagement, aborder la question qui me tenait au cœur.

— Il paraît, dis-je à mon frère, que le docteur Larke va s’établir hors de Londres.