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cette alliance, devenue plus pesante que jamais, et qui pouvait cacher de périlleux desseins. « Le roi, dans son intérieur, s’exprime avec une singulière liberté sur la conduite des Russes en Pologne, écrit notre ministre en 1831. Cette alliance avec la Russie est trop monstrueuse pour être sincère ; elle n’est dictée que par la peur. Si la Russie éprouvait de notables revers, le cabinet suédois ne demanderait pas mieux que de s’affranchir d’un joug humiliant… M. de Wetterstedt, ministre des affaires étrangères, m’a avoué que cette guerre de Pologne avait ôté beaucoup de prestige à la Russie, et que son influence morale en devait être pour longtemps diminuée. Il a ajouté des observations peu bienveillantes sur la désorganisation de l’armée russe, sur le peu de véracité de ses bulletins, sur les chants de victoire entonnés avant les combats et peu justifiés par l’issue… Évidemment le gouvernement suédois sourit à l’espoir de voir diminuer son joug. » Au mois de mars 1817, c’est-à-dire lorsque la seconde restauration de France avait plus complètement encore courbé le cabinet suédois sous la protection de la Russie, Bernadotte n’avait pas d’illusions sur cette alliance, et dans ses épanchemens il laissait déjà comprendre comment il l’entendait. « Je sais très bien, disait-il alors, que l’alliance des deux cabinets ne tient véritablement qu’à la vie de l’empereur Alexandre et à la mienne, et cette idée me fait souhaiter que la France reprenne l’attitude qu’elle doit avoir en Europe, parce qu’il faut qu’après moi l’ancienne alliance soit renouvelée entre les deux nations, alliance nécessaire à la Suède, alliance utile à la France elle-même… »

Voilà la vraie pensée de Bernadotte : la politique n’est pas le vaste champ de l’imagination ni des sentimens ; c’est l’étroit sentier de l’intérêt et de la réalité. Bernadotte s’est allié à la Russie d’abord pour se venger personnellement de Napoléon (nous citons ses propres expressions, bien souvent répétées), ensuite pour maintenir et protéger sa dynastie naissante, en lui conciliant l’amitié de la puissance qu’il redoutait le plus pour son avenir ; mais s’il a cru que l’intérêt passager de la Suède et de sa dynastie, dans un temps de trouble et de bouleversement, conseillait cette alliance, ce même Bernadotte a bien compris que les intérêts permanens de sa nouvelle patrie et de sa famille redemanderaient après lui l’ancienne alliance avec l’Occident. S’il ne s’est pas complètement trompé sur le premier point, l’alliance de 1812 n’a guère profité à la Suède. La dynastie nouvelle est restée sur le trône, où elle est à présent solidement assise, cela est vrai ; mais la Suède a perdu définitivement la Finlande, que Napoléon lui aurait sans doute rendue, et la Poméranie, qui lui fût restée. La Norvège n’a été qu’une acquisition toute négative, c’est aussi l’expression de Bernadotte ; la Suède,