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habitués à regarder le cabinet de Saint-Pétersbourg comme le régulateur des affaires de l’Europe, et que cette habitude entraînait à croire volontiers salutaires pour la direction intérieure de leur pays les seuls principes du gouvernement dont ils admiraient le plus la force et la majesté. Eh bien ! cette imitation ou mieux cette contagion de l’absolutisme est en tous points antipathique à la nation suédoise. Au prix de bien des révolutions, après bien des guerres civiles, les Suédois ont conquis en 1809 un gouvernement constitutionnel auquel ils doivent une ample liberté. La constitution politique dont ils jouissent depuis le commencement du XIXe siècle n’a véritablement pas à l’intérieur d’ennemis déclarés qui la veuillent renverser pour y substituer un autre régime. La noblesse, généralement pauvre, y est devenue modeste ; ce n’est pas elle qui menacera jamais les libertés publiques pour reconquérir son ancien ascendant. De démocrates exagérés ou de purs républicains, on peut dire qu’il n’y en a pas, à proprement parler même, il n’y a point de partis politiques.

Toutefois il est indubitable que l’esprit public en Suède est plus avancé politiquement que ne pourraient le faire supposer la lettre et les formes d’une constitution datant déjà de 1809. Il faut un assez grand nombre de réformes législatives pour que cette constitution s’élève au niveau des mœurs. Il est certain d’autre part que de telles réformes, proposées à plusieurs reprises, ont rencontré des adversaires dont la voix se haussait quand le pays était le plus courbé sous l’influence de la Russie, et qui baissaient de l’on quand dominait au tour d’eux l’ascendant des idées occidentales. N’en a-t-il pas été ainsi pour cette représentation bizarre de la nation suédoise en quatre ordres, — vieux chariot dont les deux roues de devant, noblesse et clergé, retiennent dans les ornières les deux roues de derrière, qui voudraient bien en sortir, — pour cette représentation qui n’admet ni les professions libérales ni certaines industries, de telle sorte qu’un avocat, un médecin, un chef d’usine à quelques lieues des barrières d’une ville ne peut pas représenter ses concitoyens ni être représenté lui-même, ne se trouvant pas politiquement classé dans la nation ? On se ferait difficilement une idée de ce qu’est la chambre des nobles à Stockholm. Tout fils aîné d’ancienne famille anoblie ayant conservé le droit d’y siéger, et la noblesse suédoise ayant été en grande partie ruinée par l’ancienne royauté, un bon nombre des membres de cette chambre se trouvent être aujourd’hui des sous-lieutenans et des employés même très inférieurs, de pauvres jeunes gens courbés sous le poids de noms historiques, dont il ne reste souvent d’autre héritage que quelques vieux portraits et une archive (toute famille a là-bas son archive) ! Rien de plus facile, on le comprend bien, s’il s’agit d’un vote important que le gouvernement