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général des marins hollandais du XVIe et du XVIIe siècle, les élève jusqu’à une parfaite soumission aux desseins de la Providence. Tout cependant semblait les abandonner. Le 4 novembre 1596, les faibles rayons de soleil qui leur envoyaient jusque-là, sinon la chaleur, au moins la lumière du jour, s’éteignirent. Les voyageurs qui depuis l’expédition de Barendz ont hiverné dans les mers du pôle nous ont tous peint sous des couleurs plus ou moins sombres l’impression qu’avait laissée dans leur âme cette mort de l’astre qui anime et vivifie toute la nature. Ils le suivaient en silence, disent-ils, vers les climats plus heureux où ce même soleil portait alors sa lumière ; ils retournaient en pensée vers les régions éclairées où s’était écoulée leur enfance, vers leur patrie, leur maison, leur famille. Combien de telles émotions, si naturelles et si pénibles, devaient-elles être plus fortement ressenties encore par les premiers témoins de cette longue et formidable nuit arctique, surtout dans l’état de détresse où ils se trouvaient !

Nous ne suivrons pas dans toutes ses péripéties la lutte nocturne qu’il fallut engager alors avec la rigueur homicide des élémens. Il suffira de dire qu’au moyen du bois que le mouvement des glaces leur apportait, les marins purent allumer du feu et se chauffer ; seulement il fallait aller chercher ce bois à une distance considérable, le charger sur des traîneaux et le tirer, au milieu des neiges, à travers l’obscurité et par un froid si perçant, que la peau de leurs mains et de leur figure en était enlevée. Il fallait de plus lutter presque chaque jour contre les ours blancs. Ils soutinrent toutes ces épreuves avec une patience et une opiniâtreté dignes de leur pays. Enfin le soleil revint. « Le 27 janvier, nous le vîmes dans toute sa rondeur monter sur l’horizon, ce qui nous rendit tous joyeux. Nous remerciâmes Dieu pour la grâce qu’il nous faisait en nous ramenant la lumière. » Le froid augmenta encore avec les jours qui croissaient ; la gelée devint plus intense et la neige plus fréquente. On dut attendre le mois de juin 1597 pour réparer les bateaux et les mettre en état de supporter un si long voyage. Il ne fallait pas songer au navire, il était complètement enfoncé et pris dans les glaces. Le 13 juin, tout se trouva prêt pour le départ. Avant de quitter ces lieux lugubres, où l’équipage avait fait un si long et si pénible séjour, Barendz écrivit un rapport qui contenait les noms de ses compagnons d’infortune et le journal de leur vie dans cette île déserte ; puis, après en avoir pris le double, il laissa ce papier dans la hutte. Deux bateaux ouverts, la chaloupe et le canot, réparés tant bien que mal par des mains affaiblies et glacées, voilà tout ce qui restait à ces malheureux pour faire un voyage d’au moins sept cents lieues, exposés à la violence des vents, à de grandes pluies, à de fortes