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de la Frise consacrèrent alors le principe de la liberté naturelle et illimitée des mers. Une compagnie formée dans cette province obtint donc une concession pour faire la pêche de la baleine. La Zélande avait de son côté arraché le même privilège. Les trois compagnies d’Amsterdam, de Frise et de Zélande se réunirent et confondirent leurs intérêts pour écarter les prétentions des autres villes qui voudraient leur disputer les mers glaciales. Leur espérance fut trompée : tous les aventuriers des Provinces-Unies continuèrent à protester contre une concession de l’état qui les excluait du théâtre d’une industrie si lucrative. Sous le régime de la protection, la pêche de la baleine atteignit cependant à une situation florissante ; mais le succès doit être attribué, en partie du moins, à la nature même des choses. Dans les commencemens, la baleine se laissait prendre avec une certaine naïveté. Ce géant de la création animale se reposait calme et superbe dans la confiance de sa force. C’était la première fois qu’il voyait l’homme au milieu de ces glaces, contemporaines peut-être de la naissance du globe. Un ennemi de si petite taille ne lui inspirait qu’une crainte médiocre, et il dédaignait de fuir les baies et les côtes témoins séculaires de sa domination incontestée. On voyait dans ce temps-là ces grands cétacés apparaître autour des navires en immenses troupeaux. Les Hollandais en détruisirent aisément un nombre considérable. Il arriva souvent que la compagnie fut obligée de recruter sur les mers des navires vides pour rapporter en Hollande le produit de cette pêche surabondante. Un tel succès inspira à la compagnie une confiance funeste. Croyant que la pêche se maintiendrait toujours à cet état de prospérité, elle fonda dans les îles désertes des mers polaires de vastes et magnifiques établissemens qui l’entraînèrent dans des dépenses exagérées. Un village néerlandais s’éleva au milieu des solitudes arctiques. Ce village prit le nom de Smeerenberg[1]. Visitée chaque année par douze ou dix-huit mille marins des Pays-Bas, la colonie prit un développement inattendu. Le village de Smeerenberg et l’île d’Amsterdam tout entière présentaient alors l’aspect d’une ville manufacturière et commerciale. Un nombre considérable de colons se rendait tous les ans sur les lieux pour vendre aux marins certaines provisions, telles que de l’eau-de-vie, du vin, du tabac. Les inconvéniens d’un voyage dans ces régions lointaines et glacées étaient bien compensés par les profits qu’ils tiraient de leur commerce. Des artisans de tous les métiers ne tardèrent point

  1. Ce nom vient sans doute de deux mots hollandais : smeer, qui veut dire lard, graisse, huile, et bergen, qui signifie tirer. Il y avait en effet d’immenses chaudières qui bouillaient nuit et jour, et dans lesquelles on préparait l’huile de baleine. Le même mot smeer, en langue suédoise, veut dire beurre.