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grand trou, en manière de caverne, dans l’épaisseur de la glace, et ils en avaient fermé l’entrée avec les glaçons qu’ils avaient extraits, afin de se défendre contre la violence des vents et des flots. Ils avaient vécu dans ce trou quatorze jours depuis la perte de leur navire. Écrasés par le désespoir, tourmentés par le froid et par la faim, ils voyaient s’approcher de moment en moment une mort certaine. Ils n’avaient mangé depuis quelques jours qu’une ceinture de cuir appartenant à l’un des naufragés, et qu’ils avaient divisée entre eux pièce à pièce, jusqu’à ce qu’enfin tout fût consommé. Au moment où la chaloupe arriva en vue de leur île de glace, ils se trouvaient tout à fait sans ressources. Portés sur la galiotte hollandaise, ils y reçurent les soins les plus empressés ; trois d’entre eux succombèrent pourtant, quelques jours après, aux suites de leurs privations et de leurs souffrances. De tout l’équipage du vaisseau sombré, un seul homme survécut et arriva heureusement à Delft, d’où il retourna en Angleterre.

Où en est aujourd’hui une pêche si fertile en aventures, si importante au point de vue économique ? C’est une question à laquelle m’amenait la suite même de ces études sur la vie néerlandaise. Me trouvant en 1855 sur les bords du Zuiderzée, autrefois le principal théâtre des armemens pour la chasse de la baleine, je recherchai les traces d’une industrie maritime qui avait porté si haut et si loin le nom de la Hollande. Hélas ! ces traces sont aujourd’hui bien effacées. L’île de Marken, qui fournissait jadis à la flotte groënlandaise des baleiniers intrépides, ne connaît plus le chemin des glaces. Je me rabattis sur les côtes de la Frise, d’où s’élancèrent, dans les deux derniers siècles, tant d’heureux aventuriers. Là encore cette pêche n’est plus qu’un souvenir. J’errais ainsi sur le golfe, cherchant les restes d’un commerce qui fit longtemps fleurir les populations du littoral, quand je m’arrêtai à Stavoren, la plus ancienne des villes frisonnes. C’était une cité considérable à l’époque où Amsterdam n’existait pas, ou n’était qu’un village de pêcheurs. Neuf rois de la Frise y tinrent leur cour. Stavoren comptait parmi les plus puissantes villes anséatiques. Au IXe siècle, ses habitans découvrirent les terres boréales, et s’ouvrirent un passage par le Sund dans les eaux de la Baltique, où ils faisaient un immense commerce. Les Danois, en récompense d’une découverte qui leur donnait de grands avantages, accordèrent aux vaisseaux de Stavoren le libre passage par le détroit : ceux-ci ne devaient livrer en retour de cette faveur qu’un morceau de drap de Leyde au roi de Danemark. Puissante sur les mers, jouissant d’un port commode dans lequel affluaient toutes les marchandises de l’Orient et de l’Occident, assise sur une légère éminence qui s’élève et s’avance dans le golfe comme un promontoire, Stavoren