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L’hiver, ils ramassaient du bois et cueillaient de la salade sauvage pour leurs familles ; l’été, ils cueillaient des fleurs et de la mousse pour l’église. Ils aimaient beaucoup ces promenades et celui qui les conduisait ; mais je n’osais leur donner souvent ce plaisir, craignant pour eux la morsure des serpens et les épines de cactus, dont les piqûres sont douloureuses et longues à guérir. Pour leur épargner les écorchures, il fallait en certains endroits les transporter à tour de rôle dans mes bras. Je devais même examiner avec soin la salade qu’ils prenaient, car il y a aux environs de Castroville une herbe toute semblable et très vénéneuse, la dent de lion, dont les Indiens se servent pour empoisonner leurs flèches, et qui un jour à Vandenberg fit mourir en quelques heures de souffrances atroces une famille de six personnes.

Notre église était une petite cabane de bois et de boue ; quelques familles à peine pouvaient s’y réunir, et la plupart des fidèles étaient forcés d’assister aux offices en dehors. Nous empruntâmes une clochette à un colon suisse qui, selon l’usage de son pays, l’avait pendue au cou d’une vache. On assembla quatre planches sur le toit de l’église, et ce fut le clocher. Quelque petite que fût la cloche, l’air est si pur, que ses tintemens étaient entendus de toute la ville et même dans la plaine et sur les montagnes, surtout le soir et le matin. Le zèle de l’abbé Dubuis portait d’ailleurs ses fruits. Les habitans commençaient à sanctifier le dimanche, et perdaient l’habitude de travailler ce jour-là pour se reposer le lendemain dans l’ivrognerie et la débauche. Quelques avertissemens de la Providence avaient donné plus de force aux sermons du bon missionnaire ; plusieurs accidens survinrent à des colons travaillant le dimanche, et la population comprit que ce jour-là il était plus sûr d’aller aux offices. Les pâques de 1849 furent pour nous vraiment consolantes ; presque tous les catholiques de Castroville s’approchèrent des sacremens. Avant et après les offices, beaucoup venaient nous demander nos conseils pour l’administration et l’amélioration de leurs fermes ; ils soumettaient à l’abbé Dubuis leurs différends. Ils ne voyaient pas seulement dans le missionnaire un homme qui instruit, encourage et console, mais encore un homme pratique qui connaît mille moyens de vaincre les nécessités matérielles, de féconder le sol, en un mot un père de famille qui pourvoit au bonheur moral et physique de ses enfans, s’oubliant pour eux, souffrant pour eux bien des fatigues et des privations. Aussi aimions-nous notre tâche et chérissions-nous notre troupeau ; nous goûtions avec joie le bien que nous faisions » La piété de nos colons, la pauvreté de notre petite église, la simplicité de nos cérémonies me touchaient souvent le cœur et me tiraient des larmes d’attendrissement pendant que mes mains tenaient notre