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à une certaine période de leur développement que nos espèces actuelles ont dépassée de manière à ne différer des anciennes que par un développement plus complet. Remarquez ces paroles expresses de M. Agassiz[1] : « C’est un fait que je puis maintenant proclamer dans la plus grande généralité, que les embryons et les jeunes de tous les animaux vivans, à quelque classe qu’ils appartiennent, sont la vivante image en miniature des représentans fossiles des mêmes familles. »

D. — Ceci, sauf la faculté de reproduction qu’il faut attribuer aux êtres vivans à chacune des phases d’arrêt de leur développement successif, concorde très bien avec ce que l’expérience a fait constater sur les arrêts de développement qu’on a pu produire dans nos espèces actuelles. Indépendamment de tous les résultats admirables obtenus par Etienne Geoffroy Saint-Hilaire, je ne puis omettre la curieuse expérience de William Edwards, qui a empêché des têtards de se convertir en crapauds ou en grenouilles, en les privant complètement d’air et de lumière. Ces têtards continuaient cependant à prendre de l’accroissement et de la force. Ils acquéraient à cet état un volume monstrueux, sans cesser d’être têtards et de vivre de la vie des poissons. S’ils se fussent reproduits par des œufs et du frai, ils auraient constitué une véritable espèce par un arrêt de développement. Il est donc permis de croire qu’au moyen des agens extérieurs on pourra modifier profondément nos espèces actuelles.

R. — La question est trop générale pour que je puisse y répondre en restant dans le cadre de mes observations, qui n’ont point dépassé le règne végétal.

D. — Alors que pouvez-vous présumer de la vie végétale aux époques primitives du monde ?

R. — L’atmosphère n’avait certainement pas alors la même composition que de nos jours. L’acide carbonique y était en bien plus grande abondance, et j’en trouve la preuve dans ces dépôts de charbon et de lignite qui constituent des bancs si étendus dans les deux hémisphères, et que la végétation dans notre atmosphère actuelle serait impuissante à produire. Toutefois cette abondance d’acide carbonique ne peut seule rendre compte de ces végétations colossales. Il fallait nécessairement la présence d’un composé azoté autre que notre azote gazeux, et beaucoup plus assimilable. Il n’est pas douteux d’ailleurs que ces végétations primitives ne puisaient rien dans le sol, puisque celui-ci n’avait pu encore être fertilisé par des détritus de générations antérieures. Nous trouvons la confirmation de

  1. Citées dans l’étude sur la Paléontologie, Revue du 15 mai dernier.