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ses instrumens de production. En agriculture comme en industrie, chacun cherche à produire, s’il peut, à l’avenir plus qu’il n’a produit jusqu’ici, ou, en d’autres termes, à augmenter son capital. Cette nécessité est d’autant plus pressante que les capitaux se consomment aussi, avec plus de lenteur sans doute que les objets de consommation proprement dits, mais non moins sûrement : ils ont besoin d’être incessamment renouvelés. Il suffit de ne pas entraver ce mouvement. Sans doute, dans notre société française, si prompte en toute chose à l’abus et à l’excès, il est facile de détourner le travail des emplois utiles ; mais quand il est laissé à son cours naturel, comme la vivacité nationale se retrouve aussi dans l’impulsion qu’il reçoit, on peut arriver à produire chez nous, en définitive, autant et plus de capitaux qu’ailleurs.

Le gouvernement peut diriger le premier une partie du travail qu’il commande, sinon sur l’agriculture même, du moins sur des points qui l’intéressent directement. Avant la révolution de 1848, de nombreux projets avaient été préparés par l’administration des ponts et chaussées pour ouvrir des canaux d’irrigation. Ces entreprises ont été abandonnées ; elles peuvent être reprises. D’autres travaux avaient été indiqués pour prévenir ou pour atténuer ces inondations périodiques qui portent partout la désolation ; plus que jamais il serait urgent d’y revenir. Le régime de nos rivières devient de plus en plus inconstant et capricieux à mesure que les pentes escarpées se déboisent, et que des fossés d’écoulement sont ouverts de tous côtés pour se débarrasser des eaux surabondantes. Les forêts, les marais, les étangs, les couches arables à sous-sol imperméable, tout ce qui contenait autrefois l’eau des pluies, tend à disparaître. Le drainage tubulaire, si jamais il se généralise, sera un pas de plus. Le moindre orage tombe immédiatement, par une foule de voies, dans les bas-fonds. J’ai déjà insisté ici[1] sur la nécessité de revenir aux projets de 1846 et 1847 sur l’aménagement des rivières et le reboisement des hautes pentes. Je ne croyais pas que d’épouvantables malheurs me donneraient si tôt raison. Avec des réservoirs artificiels ouverts dans les montagnes pour recevoir les plus grandes eaux, avec des canaux de dérivation dans les plaines pour les diviser à l’infini, ces eaux, au lieu de devenir des instrumens de ravage, serviraient à la production par des irrigations et des colmatages. Une vingtaine de millions par an pourraient faire ici un bien immense.

On comprend que l’état prenne sur ses revenus ordinaires une pareille somme sans augmenter les charges publiques, et je ne se rais pas bien embarrassé si j’avais à désigner la dépense qui pourrait

  1. Livraisons du 1er octobre et du 1er décembre 1855.