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espérer de ramener à l’agriculture les classes riches et éclairées, les seules qui puissent lui apporter un élément nouveau, car l’élément populaire, elle l’a, si l’industrie agricole ne se transforme pas, comme l’industrie manufacturière, par l’exercice généreux des plus hautes facultés de l’esprit humain ? Les corbeilles de fleurs, les boxes peintes, les animaux peignés et lissés, toute cette coquetterie a sa valeur, mais à la condition qu’on fera en même temps quelque chose de plus fécond, et qu’après l’attrait piquant des boudoirs on recherchera le travail patient des laboratoires.

Les quelques établissemens publics d’instruction agricole qui ont survécu à la proscription n’ont pas peu contribué à l’éclat des deux expositions de 1855 et 1856. Si l’on retranchait de la partie française les collections de Grignon, de Grand-Jouan, de la Saulsaye, des fermes-écoles, les animaux de Rambouillet, du Pin,de Saint-Angeau, d’Alfort, de Montcavrel, de Gevrolles et leurs dérivés, il ne resterait que bien peu de chose. Il ne suit nullement de la que l’état doive aspirer à diriger l’agriculture. Il peut éclairer, non diriger : en enseignant la médecine par exemple, il ne la dirige pas, il lui fournit les moyens de se mieux diriger elle-même. Il peut également concourir à mettre l’agriculture en meilleure voie, en l’aidant à former non des journaliers, qui se forment tout seuls, mais des chefs d’entreprise instruits. C’est surtout par les propriétaires aisés que l’impulsion nouvelle peut être donnée, en attendant qu’il se crée partout une classe de bons fermiers. Ces propriétaires ne sont en aucune façon obligés de cultiver eux-mêmes : sauf des exceptions fort rares, ils seraient d’assez mauvais cultivateurs ; mais ils peuvent assister leurs fermiers et métayers de leurs conseils et de leur argent, les encourager par leur présence, quelquefois même prendre le timon pour traverser une transition difficile, — et pour qu’ils y portent la résolution et l’intelligence nécessaires, il faut que leur éducation ne les en éloigne pas et que la nature de leur intervention la relève à leurs yeux. Ainsi seulement pourra se résoudre, si jamais il doit être résolu, ce grand problème de la résidence des propriétaires français ; tant qu’ils ne trouveront pas dans la vie des champs honneur, plaisir et profit, ils la déserteront, et la seule chance qui reste encore de constituer en France la grande culture sera perdue ; le flot de la petite propriété envahira tout.

Pour tracer un programme complet de développement agricole, il aurait fallu tracer tout un programme de gouvernement. Je n’ai dû et voulu indiquer ici que les traits les plus généraux. En toute chose, comme on voit, il faut en revenir à des mesures de juste-milieu. « C’est sortir de l’humanité, dit Pascal, que sortir du milieu ; la grandeur de l’âme humaine consiste à savoir s’y tenir. »