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nérale ? Ce n’est point peut-être de l’Europe malgré les difficultés encore réelles et intimes de sa situation, c’est du Nouveau-Monde. Tandis que la guerre vient de cesser entre les principales puissances européennes, éclatera-t-elle entre l’Angleterre et les États-Unis ? Si tant de raisons de toute nature, tant de considérations supérieures ne s’élevaient contre un choc redoutable, et ne laissaient croire jusqu’à la dernière heure à l’autorité d’un meilleur conseil, il est certain que ce conflit entre les deux pays, né de causes relativement secondaires, ressemblerait singulièrement à tous ceux qui n’ont d’autre issue que la guerre. Depuis que ce démêlé s’est produit, il n’a cessé de s’aggraver d’instant en instant. Le gouvernement américain marche dans cette voie avec une ténacité qui semble ne laisser à l’Angleterre d’autre alternative que de plier ou d’attendre un ennemi. On sait de quoi il s’agit. M. Crampton, représentant de la Grande-Bretagne à Washington, et divers consuls anglais sont-ils coupables d’avoir violé les lois américaines par les enrôlemens que l’Angleterre a essayé de pratiquer l’an dernier aux États-Unis, et qu’elle a interrompus à la première réclamation ? Quel est le sens d’un traité qui a été signé, il y a quelques années, entre les deux états relativement à l’Amérique centrale ? Tels sont les deux points sur lesquels roule cette querelle, qui vient de prendre récemment un aspect plus menaçant. Jusqu’ici en effet, bien des dépêches avaient été échangées, mais aucune résolution n’avait été prise. Aujourd’hui le gouvernement américain passe des paroles aux actes ; il vient de délivrer des passeports au ministre Anglais, M. Crampton, et aux consuls qu’il incrimine, et d’un autre côté le président des États-Unis, M. Pierce, adressait, il y a peu de jours, au congrès un message par lequel il annonçait qu’il venait de reconnaître le gouvernement qui s’est formé dans le Nicaragua, — ce gouvernement dont l’aventurier Walker est le créateur, le protecteur et le héros. Le renvoi de M. Crampton, après avoir été un moment incertain, ne paraît plus douteux. Ce qu’il y a de plus singulier, et ce qui est assez nouveau dans l’histoire diplomatique, c’est que le cabinet de Washington, en vue sans doute de concilier des nécessités de situation que les états étrangers ne sont pas forcés de comprendre, a chargé, dit-on, son représentant à Londres de communiquer le fait au cabinet britannique, en adoucissant la portée de cette mesure, et en lui ôtant tout caractère offensant pour la nation anglaise. Le gouvernement du général Pierce est prêt à accepter toute transaction, pourvu qu’on lui accorde le droit qu’il a exercé de renvoyer M. Crampton. Or, comme le cabinet de Londres a offert et donné toutes les satisfactions possibles aux États-Unis, en refusant résolument de souscrire à une seule exigence, celle du rappel de M. Crampton, il reste à savoir si une transaction devient facile dans ces termes.

La politique que vient d’adopter le cabinet de Washington à l’égard de l’Amérique centrale ne serait guère propre à aplanir ce différend ; mais sur ce point le général Pierce accéderait volontiers, à ce qu’il paraît, à la proposition faite par l’Angleterre, celle d’un arbitrage. Ce qu’il y a de plus remarquable, c’est le langage dans lequel M. Pierce explique la sanction qu’il vient de donner à l’ordre de choses existant dans le Nicaragua. Il invoque l’habitude invariablement suivie par l’Union de reconnaître les gouvernemens de fait.