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dans cette jeune nature est d’un effet délicat, quoique un peu étouffé sous une déclamation sonore, sous des écarts de goût, sous l’unité aristotélique, rigoureusement observée et assez mal appliquée aux sujets bibliques, quelquefois même sous l’alliance incohérente des formes païennes et de l’idée chrétienne. Avec ses beautés et ses défauts, Vondel ne s’en élève pas moins dans le passé comme la personnification la plus forte du génie hollandais. C’est à cette tradition littéraire que la Néerlande doit se rattacher. Le sentiment du beau se régénérera dans les Pays-Bas le jour où un écrivain, pénétré des besoins et de l’esprit de son siècle, dégagé des préoccupations mystiques, s’ouvrira une route entre la poésie réaliste, toujours à terre, minutieusement descriptive, de Jacob Gats, et la poésie de Vondel, qui, aimant l’idéal et le sublime, passe trop souvent au-dessus du cœur humain sans le toucher[1].

La régénération du goût se rattache d’ailleurs à la renaissance des études supérieures. Les deux établissemens qui représentent, avec les universités de Leyde, d’Utrecht et de Groningue, l’enseignement dans les Pays-Bas, — l’Athénée d’Amsterdam et celui de Deventer, — ne nous apprendraient sur œ point rien de nouveau : des cours jetés dans un moule invariable, d’autres cours où un latin barbare sert à couvrir sous l’étrangeté de la forme une pensée et des connaissances vulgaires. C’est un fait malheureusement certain que le niveau des études classiques s’est abaissé en Hollande depuis un siècle. On connaît maintenant les causes de cette décadence. À l’époque où les universités de la Néerlande brillaient d’un éclat qu’elles n’ont plus retrouvé, ces institutions attiraient à elles, par une sorte de rayonnement sympathique, les hommes éminens de tous les pays. Elles puisaient en quelque sorte leurs lumières dans le monde entier. Aujourd’hui le concours et l’accession des savans étrangers sont pour peu de chose dans la vie des universités hollandaises. On se demande alors si ce n’est pas trop pour les Pays-Bas de trois universités et de deux athénées. Supprimer une de ces académies, il n’y faut point songer : les villes y tiennent comme à des pages d’histoire nationale, ce sont pour elles des privilèges, des titres de gloire et des sources de richesse ; mais, sans réduire le nombre des académies, on pourrait ne conserver dans chacun de ces établissemens qu’une seule faculté ; Rien n’empêcherait par exemple d’installer la faculté de théologie à Groningue, la faculté de droit à Leyde, la faculté de médecine à Utrecht, la faculté des lettres à Amsterdam. Il a

  1. Il a cependant un côté par où il émeut ses compatriotes, c’est le côté national. Ses chants de victoire, ses vers adressés aux illustres marins de son époque, au prince Frédéric-Henri, ami de la tolérance politique et religieuse, son Éloge de la Navigation, sont comptés parmi ses plus belles productions.