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mettre en lumière toutes les richesses qu’elle contient, de la relever enfin à ses propres yeux, c’est le même qui, dès le début de la guerre de Crimée, a manifesté hautement ses sympathies pour l’Europe libérale.

La paix mettra mieux en lumière les tendances et l’esprit de chacun des petits états ; le bien et le mal seront visibles à tous les yeux. Il ne faut pas se le dissimuler, les esprits depuis 1848 ont profité des dures leçons de l’expérience ; ils ne se paient plus de rêveries ni de chimères ; ils se défient de la démagogie, mais ils n’en sont pas moins attachés aux principes de la société moderne. Ce progrès général n’a pas été assez remarqué ; il existe cependant, et la conscience publique va reprendre sa légitime autorité. On a pu, dans la confusion de ces dernières années, s’abandonner sur certains points à une réaction inintelligente qui ramènerait les tempêtes ; c’est le moment aujourd’hui de compter avec l’opinion et de rassurer l’esprit public. Telle sera pour les petits états de l’Allemagne une des conséquences inévitables de la paix du 30 mars.

Un autre symptôme à constater dans la situation des petits états, c’est un mouvement remarquable vers l’unité des sentimens et des principes. Les moindres incidens y font éclater dans la presse libérale des manifestations unanimes[1]. Aussi le rôle d’une feuille politique qui saurait s’inspirer de ce mouvement pour le diriger et l’étendre serait-il considérable. Ne serait-il pas à désirer en effet que l’opinion générale eût en Allemagne un organe commun au pays tout entier ? Dans la constitution du Wurtemberg, lorsque la session est finie et que les chambres se séparent, elles ont le droit de nommer une commission de six membres chargée de surveiller les actes

  1. On peut citer à ce propos l’accueil fait à un livre publié récemment à Dresde sous ce titre : le Livre noir de Dresde, indicateur de la police politique de l’Allemagne, embrassant toute la période qui s’étend depuis le 1er janvier 1848 jusqu’en 1855 ; manuel pour tous les employés de la police allemande. Ce livre donne une liste détaillée de tous les personnages que la police doit surveiller avec le plus de rigueur, et cette liste ne contient pas moins de six mille noms. Or dans cette armée de la démagogie savez-vous quels soldats on signale ? Des poètes vénérés, des professeurs illustres, des conseillers d’état ! C’est le noble poète Uhland, accusé d’être un mauvais citoyen ; c’est M. de Hermann, conseiller d’état au service du roi de Bavière et qualifié d’anarchiste ; c’est M. Sylvestre Jordan, ancien membre du centre droit au parlement de Francfort ; c’est l’intègre historien Louis Hausser ; c’est M. Welcker, M. le comte de Vincke, les plus fermes défenseurs de l’ordre pendant les crises de 1848. On ne sait en vérité ce qu’il faut admirer le plus ici, ou la stupide violence des jugemens, ou la légèreté inouïe de la rédaction. On a cru voir en Allemagne dans cette œuvre cynique l’inspiration du parti féodal, qui, encouragé par l’exemple des hobereaux de Berlin, redouble d’audace et de violence dans les petits états. Quelle que soit la valeur de cette supposition, il est certain que l’auteur du livre le destinait aux agens de la police, puisque pendant près d’une année cet incroyable manuel d’outrages et de mensonges était resté inconnu à la foule. Ce que nous voulions surtout constater, c’est l’indignation unanime que cette publication a soulevée dans le pays, et dont la presse libérale a été l’organe.