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— Oh ! pour cela, vous avez parfaitement raison, et je vous conseille de persister dans votre conduite. Quel dommage si elle tombait en de mauvaises mains !

Fatma en avait dit assez pour le moment ; elle porta la conversation sur les affaires d’Ismaïl, et essaya de découvrir le but de sa visite. Cela ne lui fut pas difficile, puisque Ismaïl était venu dans l’intention de lui parler sans détour. Il lui raconta donc ce qui s’était passé entre lui et ses fermiers, ou, pour mieux dire, les fermiers de sa femme. Bien entendu qu’il garda le silence sur les ventes qui avaient occasionné ce revirement dans ses rapports avec ces personnages. Il se permit en revanche quelques insinuations contre la loyauté de Maleka, qui lui avait offert jadis ses propriétés pour le décider à la choisir parmi ses belles-sœurs, et qui, ce but une fois atteint, s’était arrangée de façon à pouvoir revenir sur les témoignages de sa généreuse tendresse. Fatma parut révoltée de tant d’astuce et d’ingratitude. Elle se montra pleine d’intérêt et de sympathie pour son beau-frère ; elle lui offrit sa médiation auprès du kadi, alors absent, et ajouta que si celui-ci envisageait l’affaire sous le même aspect qu’elle, il ne pouvait manquer de lui rendre justice. Ismaïl-Bey se retira enchanté, et l’absence du kadi s’étant prolongée au-delà de son attente, il se promit de revenir le lendemain, d’autant mieux qu’il n’était pas fâché de laisser à Fatma le temps de préparer favorablement son époux.

Pauvre Ismaïl ! le soir du même jour, lorsque Fatma se trouva seule avec celui-ci, elle lui raconta la visite d’Ismaïl et ses motifs. Elle évita d’abord de donner son avis, se réservant de le faire, si cela devenait nécessaire, pour empêcher le triomphe de son beau-frère, et elle se félicita de sa prudence quand elle vit la tournure que prenaient les choses.

— Ma chère amie, lui dit le kadi, ton beau-frère a mille et mille fois tort, je suis fâché de te le dire. Si tu le voulais absolument, il ne me serait sans doute pas impossible de trouver un biais pour évincer les fermiers de leurs oppositions ; mais ce serait un acte d’extrême injustice, un acte qui pourrait même me compromettre gravement, et je te serai infiniment reconnaissant de m’épargner à la fois un remords et des dangers.

— N’en parlons plus, répondit Fatma en soupirant ; il ne sera jamais dit que j’abuse de tes bontés jusqu’à te pousser dans la mauvaise route par égard pour mes sentimens personnels. Fais ton devoir, noble kadi, et puisque mon beau-frère a tort, que sa faute retombe sur lui, et non sur toi, modèle de droiture et de probité !

Fatma obtint en échange de son héroïque abnégation force éloges d’abord, puis une écharpe d’Alep, un cachemire des Indes et une agrafe en diamans. De son côté, le kadi fit sonner bien haut son