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rapidement à l’Écosse et à l’Europe savante. Le monde philosophique ne pouvait guère en ce moment faire une plus grande perte : c’était un esprit éminent par la pénétration et la vigueur ; il unissait, chose rare, l’originalité à l’érudition. Nous craignons qu’il ne laisse rien d’achevé, pas même son édition de Dugald Stewart, qui doit avoir dix volumes, pas même son édition de Reid, dont le volume unique a paru en 1846, avec un appendice de sept dissertations ; mais la première section de la septième n’est pas finie et doit être suivie d’une ou plusieurs, autres sections. Nous espérons que tous les fragmens qui pourront être recueillis seront publiés.

Hamilton laisse une place importante à remplir à l’université d’Édimbourg. Deux chaires y sont consacrées à la philosophie. L’une, la chaire de philosophie morale, celle de Ferguson et de Stewart, de Brown et de Wilson, est occupée par M. Macdougal ; l’autre, créée en 1836, est celle de logique et de métaphysique, si tristement vacante aujourd’hui. L’une et l’autre ont pour patron le conseil municipal d’Édimbourg, c’est-à-dire que ce conseil, qui les a fondées, en nomme les titulaires. En ce moment, il s’ouvre un concours de candidatures qui, selon les usages britanniques, se produisent publiquement, et les titres des prétendans sont aussi publiquement discutés. Parmi eux se présente M. Ferrier, auteur des Institutes de Métaptysique, dont nous avons entretenu nos lecteurs. C’est le gendre et l’éditeur de Wilson, et il doit avoir ses partisans ; ce n’est pas cependant parmi ceux de la philosophie écossaise, dont il s’est déclaré l’adversaire.

Tout le monde croit (et tout le monde n’a pas tort) que ce que nous connaissons des choses est conforme à la réalité. Il y a, en d’autres termes, de grands rapports entre l’être et le connaître. Les sceptiques seuls nient cela, prétendant qu’il n’y a point de rapports nécessaires entre l’être et le paraître. Les Écossais depuis Reid ont en général pris parti pour la vérité de nos connaissances, c’est-à-dire qu’ils soutiennent que les objets sont en soi et absolument quelque chose qui nous est connu dans la mesure de nos facultés ; mais ces facultés elles-mêmes ont leurs formes, leurs lois : elles connaissent suivant ce qu’elles sont, et s’il y a des rapports entre l’être et le connaître, il n’y a pas identité. C’est cependant cette identité que d’autres philosophes ont prétendu établir. Comme les choses ne sont pour nous que ce que nous en savons, on a soutenu qu’elles n’étaient qu’en tant qu’elles étaient connues, et que l’intelligence constituait l’existence même des objets en la reconnaissant. Cette confusion entre la veritas essendi et la veritas cognoscendi des scolastiques a été plus d’une fois opérée par ces derniers, mais surtout elle est devenue après Kant le thème favori des écoles allemandes.

Or de cette tendance au spinozisme métaphysique, il est difficile d’absoudre entièrement M. Ferrier. L’idée fondamentale de son livre est celle de Fichte, et Fichte a engendré Hegel et Schelling. Quoique M. Ferrier se défende des conséquences auxquelles se sont hardiment portés les deux penseurs allemands, rien ne saurait être plus opposé que son système à la philosophie écossaise, qui se fait gloire d’être une philosophie de sens commun. C’est ce qu’a établi très clairement le révérend John Cairns dans une brochure intitulée : Examen de la Théorie de la Connaissance et de l’Être, du