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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/236

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convenait donc que le gouvernement, au lieu de se dessaisir encore, par un bail de six ans, de son arbitrage sur les questions de douane, le reprît et le gardât intact, dans l’intérêt de sa politique comme dans celui de l’industrie française elle-même, sur laquelle retombaient, beaucoup plus qu’on ne le pensait, les restrictions imaginées pour la protéger. Les fermiers-généraux se prêtèrent de bonne grâce à cette combinaison. Il fut entendu que la ferme-générale ne remplirait à l’égard des douanes que les fonctions d’un régisseur comptable.

Dans l’intervalle qui sépare le moment où nous sommes parvenus de celui où M. Mollien avait été admis dans les bureaux des financée, des événemens s’étaient passés dans le sein de cette administration ; mais c’était au-dessus de sa tête et dans une sphère où il ne pouvait atteindre. Plusieurs contrôleurs-généraux s’étaient succédé. Après vingt mois de fonctions, Turgot, ministre vertueux et capable, dont le coup d’œil sûr distinguait les dangers de l’avenir, et dont l’intelligence élevée avait démêlé les moyens de les conjurer, avait été renvoyé (mai 1776), parce qu’il gênait les intrigues de Maurepas, vieillard égoïste et frivole et cependant premier ministre inamovible sous un roi qui aurait voulu faire le bonheur des peuples : tant il est vrai que pour qu’un prince, même investi en apparence d’une autorité illimitée, réussisse à faire le bien, il ne suffit pas qu’il en ait l’intention et qu’il aime ses sujets ! Il faut aussi que chez lui les lumières de l’esprit et les facultés du jugement et du caractère soient proportionnées aux sentimens placés dans les replis de son cœur, et il est peu de rois qui, à cet égard, aient offert une discordance aussi prononcée que l’infortuné Louis XVI.

Après Turgot, Clugny n’avait fait que passer ; il était pourtant trop resté pour l’honneur du gouvernement. Necker ensuite avait fait sa première apparition aux affaires (fin de 1776) ; il y avait montré l’esprit de ressources d’un banquier intelligent, mais non les qualités d’un homme d’état. Il aimait l’économie et rendit d’incontestables services en réprimant sur quelques points le gaspillage ; mais dans les cinq années de son premier ministère, alors que la révolution frappait à la porte et qu’on pouvait l’arrêter au passage en lui opposant un plan de réformes combiné avec sagesse et exécuté avec fermeté, il ne sut entreprendre rien qui pût conduire à un système d’impositions conforme au principe de l’égalité que recommandait l’équité la plus vulgaire, et que ne recommandait pas moins la politique, car la masse de la nation en voulait passionnément le triomphe. Je doute que l’histoire l’absolve d’une aussi grande faute, même quand on ferait valoir pour lui l’excuse que sa qualité de protestant l’obligeait à garder des ménagemens extrêmes envers le premier des ordres privilégiés, le clergé ; mais certainement elle lui demandera