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qui prévoyait de grands malheurs, au débordement desquels il ne pouvait opposer que des vœux, n’avait plus qu’un désir, celui de la retraite. les derniers traités passés avec les compagnies financières chargées de la perception des revenus de l’état furent résiliés par force majeure, Les approvisionnemens dont s’alimentaient les monopoles du sel et du tabac avaient été pillés dans plusieurs villes ; la perception était troublée partout où elle n’était pas suspendue. La contrebande à main armée supprimait les douanes intérieures ; le recouvrement ne se maintenait qu’à Paris, grâce à l’enceinte nouvellement bâtie. M. Mollien crut qu’avant de se retirer, il avait un devoir à remplir ; il jugea qu’il lui appartenait de veiller à ce que la résiliation des traités de finances auxquels il avait pris une part active se fît équitablement, et de garantir, autant qu’il dépendait de lui, de toute atteinte les intérêts privés qui s’y trouvaient engagés. Après s’être acquitté de cette tâche, il voulait quitter Paris et s’éloigner de toute fonction publique. Sur les instances d’un de ses collègues qu} venait d’être appelé au ministère des finances, M. Tarbé, il accepta la place de directeur de l’enregistrement et des domaines à Évreux. Il y resta jusqu’aux événemens du 10 août, à la suite desquels il fut destitué comme un modéré peu affectionné pour la révolution, ce qu’il était effectivement.

Ayant ainsi retrouvé sa liberté, autant que ce mot peut s’appliquer à la condition des citoyens français à cette époque terrible, M. Mollien se mit à la tête d’une filature de coton qu’un de ses parens venait d’élever en Normandie. Quand un homme est destiné à marquer dans l’histoire de son pays, rien n’est insignifiant dans sa vie ; chacune de ses tentatives, chacune des phases successives de son existence a une signification, et peut devenir pour sa patrie le germe de faits importans. Supposez que Colbert n’eût pas été dans sa jeunesse un des commis de la maison Mascrani, et qu’il ne se fût pas ainsi familiarisé avec les habitudes du grand négoce et avec les règles d’une gestion précise et ponctuelle, comme l’aiment et la pratiquent les bons commerçans : il est probable que plusieurs des horizons où son activité s’est déployée fort heureusement pour le pays eussent été fermés pour lui, et il est certain qu’il eût été moins habile à gouverner les finances publiques. De même il a été avantageux à la France que la carrière administrative de M. Mollien ait été brusquement interrompue par la révolution, et qu’il ait été pendant quelque temps manufacturier et commerçant. C’est par là qu’il développa son aptitude à traiter avec les hommes d’affaires, et qu’il se trouva tout prêt ensuite à faire un excellent ministre du trésor ; c’est par là qu’il put apprécier à toute sa valeur la méthode de comptabilité en usage dans le commerce, et que, faisant un retour