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ceux du cousin brillaient comme des escarboucles ; mais Ismaïl ne remarqua pas ce contraste, il n’avait de regards, lui, que pour le coffret.

— Voici mon cousin Osman, dit Anifé, qui est tout prêt à nous seconder dans notre affaire. Les bijoux que j’ai rapportés d’Asie sont dans ce coffret… Nous allons traiter…

Elle s’assit sur un coussin devant Ismaïl, Osman prit place à côté du bey. Un des serviteurs de la maison, le chiboukdj (allumeur de pipe), entra au même instant ; ses fonctions étaient d’entretenir de feu et de tabac le narghilé d’Anifé. Ismaïl ne fit aucune attention à l’entrée ni à la présence de ce personnage.

— Voici les bijoux, dit Anifé en ouvrant le coffret ; examinons-les l’un après l’autre et fixons-en la valeur à mesure. Commençons par cette épingle.

C’était une épingle en diamans représentant une fleur et destinée à être piquée dans un mouchoir de tête. Les diamans n’étaient ni gros ni beaux, mais il y en avait un assez grand nombre, et l’épingle faisait quelque effet.

— C’est magnifique ! s’écria Osman.

— Que sais-je ? répondit Ismaïl en paraissant chercher… Deux mille, deux mille cinq cents piastres.

— Combien penses-tu qu’on pourrait en avoir ? dit Anifé.

Anifé partit d’un éclat de rire. — Si ma mère t’entendait déprécier ainsi ses bijoux chéris, que dirait-elle ?

— Ta mère m’a assuré plusieurs fois, reprit Osman, qu’elle avait refusé quinze mille piastres de cette épingle.

Les yeux d’Ismaïl s’allumèrent, car il connaissait assez Fatma pour être persuadé qu’elle n’aurait pas refusé quinze mille piastres à moins de savoir pertinemment qu’elle pouvait en obtenir trente mille, et Osman lui inspirait beaucoup de confiance, d’abord parce que, le sachant jeune, il le croyait naïf, et ensuite parce qu’il le regardait comme parfaitement désintéressé dans la vente des bijoux. Bref, l’épingle fut évaluée à vingt mille piastres. Puis vinrent une belle bague en émeraudes, une autre bague en rubis, un collier de perles, un fermoir aussi en émeraudes entourées de diamans, et un bout de pipe en ambre orné de pierreries ; Le tout fut coté à quatre-vingt-quinze mille piastres. Anifé dit alors d’un petit air grave et solennel : Il est donc convenu que je te vends ces bijoux pour la somme de quatre-vingt-quinze mille piastres, lesquelles me seront payées par toi, sur ma demande, huit jours après que je t’en aurai réclamé le paiement.

Ismaïl se sentit pâlir, tant il lui semblait entendre en ce moment son Anifé des anciens et des mauvais jours. Sa voix était mal assurée