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Grey, et le chancelier, sir Edward Sugden, purs tories, dévoués aux principes et aux intérêts anglo-protestans, déclarèrent qu’il n’y avait pas moyen de tolérer de telles démonstrations, dussent-elles ne pas aboutir encore à des attaques. Le principal secrétaire d’Irlande, Jord Eliott, plus libéral et plus bienveillant pour les Irlandais, partagea leur avis. À Londres, sir Robert Peel avait un sentiment trop profond de la mission et de la dignité du pouvoir pour admettre qu’il pût se laisser à ce point braver et menacer : « Nous maintiendrons la loi, » répétait-il sans cesse à propos de l’Irlande ; il approuva sur-le-champ les propositions du conseil privé de Dublin. Par une proclamation publiée le 7 octobre, le meeting annoncé pour le 8 fut interdit ; le 14, M. O’Connell, son fils John et ses principaux affidés furent arrêtés comme prévenus de conspiration, de sédition et de rassemblement illégal, et les formalités de la mise en accusation aussitôt remplies, il fut décidé que le procès aurait lieu devant le jury de Dublin le 16 janvier 1844.

Sir Robert Peel avait vu éclater en 1843 toutes les difficultés de sa situation ; toutes les questions qui préoccupaient l’Angleterre étaient engagées sur sa tête ; il était aux prises avec tous ses adversaires. Il avait subi quelques échecs, laissé voir un peu de tâtonnement, gardé, dans quelques occasions importantes, une attitude un peu inerte et obscure. Ses ennemis étaient contens et moqueurs. Les journaux l’attaquaient avec insulte. Parmi les spectateurs impartiaux, plusieurs commençaient à douter de sa fortune et à parler de ses prochains périls. Ils se trompaient. Quoique la session de 1843 n’eût pas été pour lui aussi brillante ni aussi heureuse que celle de 1842, sa politique à l’intérieur, soit qu’elle fût active ou expectante, explicite ou réservée, était restée parfaitement la même, à la fois modérée et indépendante avec ses amis comme avec ses adversaires, éclairée et honnête, prudente et patiente sans timidité, préoccupée des intérêts du pays, non des fantaisies du public, comme il convient à un pouvoir sérieux et consciencieux dans un pays libre. Il avait continué à se montrer ce qu’il était réellement, le plus libéral entre les conservateurs, le plus conservateur entre les libéraux, et dans l’un et l’autre camp le plus capable de tous. Il s’était fermement établi dans la confiance de la reine et n’avait pas cessé de grandir dans celle du parlement et du pays. Sa politique extérieure, aussi digne d’estime et encore plus rare, ne contribuait pas moins à honorer son nom et à assurer son crédit.