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soit une amélioration nouvelle, soit une véritable transformation matérielle de ces peuples, qui souffrent dans leur esprit et dans leur corps. Même chez les nations les plus favorisées, que de prodiges l’industrie est encore destinée à produire ! Vienne donc l’éclosion de ces merveilles. Activons, s’il se peut, leur enfantement, mais restreignons-en la portée aux limites que lui assignent les lois morales. Il faut louer les gouvernemens européens qui ouvrent un champ large à l’activité matérielle des peuples, on peut admettre même comme un bon calcul la pensée du gouvernement autrichien, que l’assimilation de la Hongrie et la pacification des provinces italiennes seront obtenues par le développement de la richesse publique et l’accroissement des voies de communication ; mais réservons à l’esprit sa prééminence sur la matière. Souhaitons de préférence aux hommes la dignité morale, l’emploi de leurs facultés intellectuelles ; aimons mieux voir les nations courageuses libres et fières que riches et satisfaites, et regrettons amèrement que le culte de l’utile semble l’emporter de nos jours sur celui du beau et du bien. Ne touchons-nous pas même sous ce rapport à l’une de ces leçons que l’expérience réserve aux ambitions trop hautes et aux prétentions non justifiées ? L’esprit révolutionnaire a discrédité l’esprit libéral ; ne sommes-nous pas sur le point de voir l’esprit de spéculation compromettre à son tour l’esprit industriel ? N’est-ce pas déjà un lieu-commun que de parler des excès de la spéculation ? Le siècle appartient à l’industrie : n’est-il pas plus vrai de dire qu’il est la proie de la spéculation ? Dans toutes les affaires qui se disputent le capital européen, la spéculation n’est-elle pas le principal, et l’industrie l’accessoire ? Qu’arrivera-t-il, si le principal l’emporte sur l’accessoire, comme il est naturel de le craindre ? Et dans un jour de revers l’industrie ne sera-t-elle pas à son tour frappée de l’impopularité sous laquelle a succombé cette cause si vivement défendue naguère, si désertée aujourd’hui, hélas ! le libéralisme ?

En examinant dans une seule de ses parties le tableau du mouvement industriel irai entraîne l’Europe, je n’ai pu m’empêcher de concevoir des craintes sur la mesure de ses efforts et la sûreté de sa marche : je laisse à de plus compétens le soin de décider si ces craintes sont fondées, de déclarer où commence l’excès, et surtout d’en proposer le remède. Les chiffres et les faits que j’ai groupés pourront, si l’on étudie dans leur ensemble les projets enfantés par l’esprit industriel, multipliés par l’esprit de spéculation, servir partiellement, il est vrai, mais utilement, à établir entre les besoins et les ressources une règle de proportion.


BAILLEUX DE MARIZY.