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dans la plus grande intimité, étrangers à toute susceptibilité, à toute méfiance réciproque, et animés du même sentiment au point de passer de bon cœur l’éponge sur les abus. » Cette identité, de sentiment, cette égalité de zèle n’existaient point, entre la France et l’Angleterre, pour la répression de la traite, et loin qu’il n’y eût entre les deux peuples point de susceptibilités ni de méfiances, le traité du 15 juillet 1840 avait ranimé en France toutes celles que la sympathie de l’Angleterre pour la France, après les événemens de 1830, avait assoupies. Je ne pense pas que le soulèvement qui éclata en 1842 contre le droit de visite, appliqué à la répression de la traite, fût juste, ni politique, ni même parfaitement spontané et naturel ; l’art de l’opposition le fomenta, et la faiblesse de beaucoup de conservateurs l’accepta fort au-delà de la vérité. Ce fut pourtant bientôt, on ne saurait le nier, une de ces impressions contagieuses contre lesquelles le raisonnement, la prudence, les notions même de droit et d’équité demeurent sans pouvoir. La surprise fut grande dans le cabinet anglais à cette explosion de méfiance avouée et d’hostilité mal déguisée contre l’Angleterre. Sir Robert Peel et lord Aberdeen étaient étrangers au tort qu’avaient eu envers nous leurs prédécesseurs ; la cause de notre mécontentement avait disparu ; ils s’appliquaient avec empressement à en effacer la trace ; ils avaient peine à comprendre l’amertume des soupçons, la vivacité des alarmes que des traités en vigueur depuis dix ans excitaient tout à coup parmi nous. Et quand je me prévalais de cet état des esprits pour me refuser à la ratification du nouveau traité : « Prenez garde, disaient-ils, ce sont là des motifs qui peuvent avoir pour vous une valeur déterminante, mais qu’il ne faut pas nous appeler à apprécier, car ils sont très injurieux pour nous, et nous ne pouvons avec dignité les voir se produire sans les ressentir vivement. On est par venu à persuader en France que nous sommes d’abominables hypocrites, que nous cachons des combinaisons machiavéliques sous le manteau d’un intérêt d’humanité. Vous vous trouvez dans la nécessité de tenir grand compte de cette clameur, et nous faisons suffisamment preuve de bon caractère en ne nous en montrant pas offensés ; mais si vous venez, à la face de l’Europe, nous présenter officiellement ces inculpations comme le motif déterminant de votre conduite, nous ne pouvons nous dispenser de les repousser, car notre silence impliquerait une sorte d’adhésion. »

Une autre pensée préoccupait aussi les ministres anglais : engagés au même moment dans une négociation avec les États-Unis sur le concert à établir entre les deux nations pour la répression de la traite, ils s’étaient flattés que, si l’Europe entière acceptait le traité du 20 décembre 1841 sur le droit de visite, l’Amérique aussi finirait