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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/425

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de fer il y avait un fonds d’égoïsme. Il savait qu’il n’était pas souillé par la bassesse de ses contemporains, et à son insu peut-être il n’était pas fâché d’un contraste qui le faisait valoir. Phocion fut, involontairement et sans s’en douter, un des auxiliaires de Philippe. Il prêchait la paix à tout prix parce qu’il ne croyait pas qu’Athènes eût l’énergie de faire la guerre ; Démosthènes prêchait la guerre parce qu’il voulait avant tout l’honneur d’Athènes. Tiraillés entre Démosthènes et Phocion, les Athéniens ne surent faire à propos ni la guerre ni la paix.

Quelque glorieuse qu’eût été pour Philippe la paix de 346, il était encore loin cependant d’avoir obtenu tous les résultats qu’il attendait de la guerre. Il s’était fait admettre à la vérité comme membre du corps hellénique, et il avait prouvé qu’il était le plus fort ; mais sa domination n’était pas encore reconnue, et pour lui faire perdre toute son influence sur la Grèce, il suffisait que les républiques, jadis puissantes, aujourd’hui divisées par leurs rivalités, s’alliassent sincèrement pour repousser l’ennemi commun. Lorsqu’il conclut le traité de paix, il n’était pas sans doute en position d’exiger plus qu’il n’obtint. L’histoire de cette époque est fort obscure, et il a fallu toute la sagacité et la vaste érudition de M. Grote pour parvenir à y jeter quelque lumière. Pour tous renseignemens, on n’a guère que des lambeaux des discours des principaux orateurs. Après le témoignage des poètes, celui des orateurs est assurément le moins exact et le moins véridique qu’un historien puisse consulter. C’est pourtant le seul dont on dispose aujourd’hui, et ce n’est pas un petit mérite à M. Grote d’avoir tiré de harangues suspectes une foule de faits, qui, contrôlés par sa critique judicieuse, doivent aujourd’hui prendre place dans l’histoire. Il paraît évident que Philippe, en 346, pressé par les barbares, ses voisins du nord, sentit le besoin d’une trêve avec les Grecs. Il se réservait d’achever plus tard l’entreprise qu’il avait si heureusement commencée.

Ce fut pendant l’intervalle de quatre ou cinq ans qu’il laissa respirer la Grèce que se produisit une idée politique destinée à avoir bientôt les conséquences les plus extraordinaires. Un grand publiciste de ce temps, Isocrate, que sa timidité éloignait de la tribune aux harangues, mais qui savait écrire de beaux discours, fit alors un pamphlet qui émut la Grèce. Il prêchait la concorde. Il engageait Athènes, Sparte, Thèbes à oublier leurs vieilles querelles et à s’unir contre l’ennemi commun de la Grèce, — le roi de Perse. La retraite des dix mille et les expéditions d’Agésilas en Asie avaient montré la faiblesse de l’empire du grand roi. Un général à la tête des troupes grecques pouvait abattre ce colosse décrépit, et ce général, quel pouvait-il être, sinon Philippe ? Voilà ce que disait Isocrate. Il est