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d’esprit dont je parlais tout à l’heure. La domination de Sparte fut brutale et souvent cruelle ; celle de Thèbes ne le fut guère moins, et à la haine des Béotiens contre leur capitale, on peut juger de son gouvernement[1]. Philippe, qui fut quelquefois un ennemi implacable pendant la guerre, s’appliqua, dès qu’il fut devenu le chef de la confédération hellénique, à maintenir l’ordre et la paix entre toutes les républiques qu’il avait vaincues. Il laissa chacune d’elles s’administrer selon ses lois nationales, mais il lui défendit d’opprimer ses voisins et d’exiler les citoyens qui ne partageaient pas la manière de voir de la majorité. Il ne paraît pas qu’il ait exigé des Grecs des contributions où des troupes, du moins il ne fit rien pour les contraindre à contraindre à son expédition. Il les désarma, mais il les traita avec douceur ; et respecta même soigneusement leurs susceptibilités d’amour-propre On ne doit pas imputer à Philippe la conduite des rois ses successeurs, et surtout de leurs lieutenans, transformés depuis les conquêtes d’Alexandre en despotes asiatiques. Lorsque Philippe monta sur le trône, la Grèce était plus profondément divisée que jamais. Chaque république, pour accabler ses voisins, était prête à implorer le secours du barbare. Non-seulement les Doriens considéraient les Ioniens comme des ennemis, mais encore entre villes de même race existait souvent une animosité non moins acharnée. Orchomène de Béotie voulait la ruine de Thèbes, comme Thèbes voulait la ruine d’Orchomène. Les guerres se faisaient avec une barbarie incroyable. On rasait les cités, on vendait les prisonniers comme esclaves, lorsqu’on ne les massacrait pas. Il est évident qu’une situation si déplorable ne pouvait cesser que par une intervention étrangère. Les forces des villes grecques étant à peu près équilibrées, leurs querelles pouvaient durer indéfiniment, tant qu’elles auraient été réduites à leurs propres ressources. Dans cet état de division, je doute que la Grèce eût rempli la mission que la Providence semblait lui avoir destinée. Un rôle nouveau lui fut dévolu par Philippe. Pacifiée, ralliée sous une loi commune, elle devint le centre des arts et de la civilisation, et son influence sur les destinées du monde n’en fut peut-être pas amoindrie.

Les prodigieuses conquêtes d’Alexandre et la fortune toujours fidèle à ses armes ont éclipsé la gloire de Philippe, et la postérité éblouie a refusé d’attribuer au père la part considérable qui lui appartient dans les succès du fils. M. Grote s’élève avec beaucoup de raison contre cette injustice. C’est Philippe qui avait organisé l’armée macédonienne, qui l’avait disciplinée, aguerrie. Les revers assez

  1. Après la prise de Thèbes, Alexandre s’en remit, pour le châtiment à lui infliger, au jugement des Béotiens, ses alliés. Ils demandèrent que la ville fût rasée et ses habitans vendus comme esclaves.