Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/438

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mosaïque composée de mille petites pierres qui, séparément et par elles-mêmes, ont peu de valeur, mais qui, réunies avec art, forment un dessin gracieux. Sachez comprendre avec intelligence les jouissances passagères que le hasard vous jette, que votre caractère vous donne ou que le ciel vous envoie, et vous aurez une existence agréable. » Eh bien ! tels sont aussi à peu près les ingrédiens de la célébrité. On la trouve assez facilement quand on sait limiter son ambition, et un artiste raisonnable qui connaît bien Paris peut conquérir en peu de temps une renommée assez retentissante pour se faire illusion à lui-même et combler les vœux de ses amis. Avec de la persévérance, des protecteurs et une grande audace, on peut aller même jusqu’à l’Institut. On l’a vu plus souvent que des rois épouser des bergères.

On peut diviser les concerts qui se donnent tous les ans à Paris en deux grandes catégories qui répondent à deux générations de dilettanti très différentes : les concerts classiques, où l’on exécute de la musique d’ensemble, et particulièrement celle des grands maîtres, et les soirées ou matinées plus ou moins musicales que donnent les virtuoses et les professeurs à la mode pour, se maintenir en crédit dans le petit monde dont ils sont les étoiles. Le public qu’on rencontre à ces deux espèces de concerts appartient à deux civilisations musicales qui se touchent, mais ne se confondent pas. On passe de l’une à l’autre, comme dans les mystères d’Eleusis on passait d’une scène d’initiation à la complète intelligence de l’arcane sacré. Il est juste de remarquer que les bons concerts se multiplient, et que chaque année ils sont fréquentés par un nombre toujours plus considérable de vrais amateurs. Aussi les virtuoses s’en vont-ils bien plus vite que les rois. Nous suivrons la division que nous venons d’établir en parlant d’abord des concerts où l’on a exécuté la musique des maîtres, c’est-à-dire la musique classique, ce qui ne veut pas dire, comme on le croit trop communément en France, de la musique ennuyeuse.

En tête de la première catégorie, il faut placer la Société des Concerts, qui a inauguré, le 13 janvier 1856, la vingt-neuvième année de son existence. Le programme de cette première séance ne renfermait de nouveau, si ce n’est de remarquable, qu’un air médiocre d’un opéra, Tamerlan qui fut représenté en l’an du Seigneur 1802. M. Bussine a chanté l’air de Win ter dans un style flasque, assez en harmonie avec la musique du compositeur allemand, qui fut un grand amateur de pigeons et un gracieux imitateur de Mozart, particulièrement dans son chef-d’œuvre, le Sacrifice interrompu. Après un fragment d’un quintette de Reicha pour instrumens à vent, qui a été fort bien exécuté, on a chanté un chœur de Rameau, de son opéra Castor et Pollux, qui remonte à l’année 1737. Pourquoi donc les commissaires de la Société des Concerts, qui sont chargés de rédiger le programme de ces belles fêtes de l’art, s’obstinent-ils à ne point indiquer la date des ouvrages qu’ils produisent en public ? En sont-ils encore à ignorer combien la chronologie est un élément nécessaire à la juste appréciation des œuvres du génie ? Si les auditeurs savaient que le chœur de Rameau a été écrit trente-sept ans avant l’arrivée de Gluck en France, ils seraient encore plus étonnés de l’impression, de la couleur et de l’harmonie déjà profondes qui caractérisent le génie pathétique du compositeur français. Le solo de cette belle scène de